Dans nos précédents articles, nous avons comparé l’impact environnemental de différents scénarios – télétravail VS présentiel par exemple – et nous avons établi le bilan carbone de notre cabinet afin d’identifier les pistes de réduction de nos émissions. Aujourd’hui nous nous intéressons à l’empreinte carbone de deux types de commerce : le e-commerce en considérant l’archétype Amazon, et le commerce traditionnel de détail en grande surface en prenant comme exemple Auchan.
Amazon VS Auchan : combien de carbone ?
Qu’avons-nous étudié exactement ?
Des biens physiques non alimentaires
Nous avons pris comme exemple le cas de l’un de nos consultants, qui réalise plusieurs dizaines d’achats non alimentaires par an. On parle donc ici de biens technologiques, de bricolage ou multimédia, que les français consomment massivement grâce au commerce en ligne, surtout cette année 2020 de COVID où le bricolage a surperformé avec des volumes de l’ordre de +20% ! Selon une étude réalisée par Kantar en 2019 [1], un français réalise chaque année en moyenne 10 commandes Amazon avec un panier moyen contenant 1.5 articles, soit 15 articles par an au prix moyen de 23,20€. Amazon est d’ailleurs devenu le leader du e-commerce, une tendance qui ne cesse d’augmenter ces dernières années, avec une croissance de 5.9% par an depuis 2018 [1].
De l’acte d’achat jusqu’au client
Comme nous l’avons déjà mentionné dans nos précédents articles, les résultats d’un bilan carbone dépendent de notre périmètre de calcul et des hypothèses retenues. Dans cette étude, nous avons choisi de considérer uniquement les émissions liées au transport des biens, depuis l’acte d’achat jusqu’au domicile du client. Il s’agit d’un parti pris simplificateur, dont nous allons détailler les hypothèses par la suite, mais nous verrons que ces éléments suffisent déjà à générer une riche discussion.
Dans le cas du e-commerce (Amazon), le bien physique au moment de l’achat se trouve dans un entrepôt. Celui-ci peut appartenir à Amazon ou l’un de ses partenaires puisque Amazon est, comme Aliexpress, de plus en plus une Marketplace qui organise la vente et l’acheminement de marchandises provenant de différents fournisseurs, sans nécessairement stocker ces marchandises dans ses propres centres. Le bien est ensuite acheminé en fin de journée jusqu’à un centre de tri régional, puis envoyé pendant la nuit à un centre de distribution local, d’où partent les tournées “dernier kilomètre” en camionnettes, le matin entre 5h et 8h. Nous avons considéré que le colis parcourait une distance moyenne totale de 600 km entre l’entrepôt et le centre de distribution local, dans un grand camion transportant 20 x 200 colis. Concernant la livraison à domicile du colis, nous avons fait l’hypothèse d’une tournée de livraison de 100 km. Elle serait effectuée par une camionnette transportant 200 colis, un nombre plutôt élevé qui correspondrait à une période de pic de fin d’année.
Dans le scénario du commerce de détail, le consommateur parcourt une dizaine de kilomètres en voiture pour se rendre dans un centre commercial où il pourra acheter son bien.
Nous n’avons pas pris en compte l’éclairage et le chauffage des locaux, à savoir des entrepôts de stockage pour Amazon et un magasin de vente de détail pour Auchan. En effet, il nous semblait trop difficile d’isoler les émissions liées à nos colis sans formuler de nombreuses hypothèses très discutables. Quand bien même il est possible d’estimer sur une année la consommation d’un bâtiment, pour pourvoir la répartir sur nos produits, il faudrait avoir une idée du nombre de colis qui transitent dans un entrepôt Amazon, ou de produits vendus par une grande surface.
Nous avons également écarté du calcul la gestion des invendus. Pour des magasins type Auchan, une partie des stocks sont probablement ré-expédiés vers le fournisseur, soldés ou détruits. Bien que la part des émissions liées à ces produits ne soit probablement pas négligeable, il aurait fallu, ici aussi, formuler trop d’hypothèses pour la calculer. Nous avons donc fait le choix de nous concentrer uniquement sur l’acheminement des marchandises.
Prendre en compte l’augmentation de la consommation liée aux nouvelles technologies
Nous avons également voulu prendre en compte l’augmentation de la consommation du commerce en ligne. En effet, il est très facile de réaliser une commande Amazon en quelques clics, ce qui encourage à utiliser le e-commerce dès que nous avons besoin d’un bien, alors que se déplacer dans un magasin demande plus de temps et d’organisation. Par ailleurs, Amazon propose une impressionnante quantité d’articles, dont beaucoup seraient introuvables dans un magasin de proximité, par manque de surface. Cette diversité profite donc au e-commerce et favorise une hausse des achats en ligne.
L’augmentation des usages liée au confort que nous offrent les nouvelles technologies est une phénomène fréquemment constaté, qui porte le nom d’effet rebond (aussi connu sous le terme de Paradoxe de Jevon en économie). En effet, lorsqu’on augmente l’efficacité avec laquelle une ressource est utilisée, on va paradoxalement augmenter sa consommation puisque ses coûts d’utilisation chutent. Ici, le e-commerce nous fait gagner un temps précieux, en conséquence, nous y avons recours plus souvent.
Habituellement, lorsqu’on compare deux situations, on choisit les même hypothèses selon le principe « toutes choses égales par ailleurs ». Ici, cela signifierait de comparer l’impact carbone d’une commande Amazon et d’un achat dans un magasin. Or, pour tenir compte de l’effet rebond, nous avons choisi de comparer un scénario où un consommateur se déplaçait 40 fois dans un magasin et un scénario où un consommateur réalisait 100 commandes sur Amazon, ce qui pourrait correspondre à la consommation annuelle d’un de nos consultants. Dans ce scénario, le facteur de rebond est de 100/40 = 2,5. Nous allons montrer l’effet de ce facteur de rebond plus bas dans l’article.
Par ailleurs, il y a un autre effet favorise la consommation en magasin, c’est le biais du présent : les récompenses immédiates ont un poids disproportionné par rapport aux conséquences à long terme. Vous partez pour Auchan acheter de la farine et des œufs qui vous manquent pour faire un gâteau, et vous revenez aussi avec une bouteille de vin, un ustensile de cuisine, et plein d’autres choses que vous n’étiez pas venus chercher. En en discutant avec les consultants du cabinet, la conclusion à laquelle nous arrivons est que cet effet joue 3 à 4 fois moins en e-commerce. Nous n’avons pas tenu compte de cet effet dans nos calculs, car le transport de ces marchandises supplémentaires en véhicule individuel n’occasionne qu’une consommation d’essence marginale. Mais la surconsommation de biens rendue possible par leur bien meilleure mise en valeur dans le parcours physique des rayons d’une grande enseigne représente des émissions de carbone substantielles.
Commerce en ligne ou commerce de détail pour réduire ses émissions ?
Moins d’émissions avec le e-commerce sous nos hypothèses de calcul
Emissions achats en ligne vs achats physique
Avec les hypothèses récapitulées dans le tableau ci-dessus, les émissions du e-commerce sont 1,7 fois inférieures (110,4 / 65,56) à celles liées au commerce de détail, et ce malgré le fait que nous avons considéré beaucoup plus d’achats en ligne qu’en grande surface. La logistique aval réalisée en voiture individuelle reste donc un très gros facteur d’émissions, alors que les camions ou camionnettes, bien qu’émetteurs de CO2, transportent beaucoup plus de colis, ce qui réduit l’impact carbone individuel d’un colis.
Alors qui gagne vraiment ?
Nous nous sommes rendu compte que le choix des valeurs d’entrées liées aux hypothèses que nous avons formulées, peuvent avoir un fort impact sur les résultats, voire inverser la tendance observée. L’objectif de cet exercice est de montrer que nous sommes capables de définir des scénarios et de mener une étude complète pour une prise de décision raisonnée, notamment pour démontrer les bénéfices RSE d’une transformation digitale.
Pour synthétiser, nous proposons une visualisation qui donne le nombre de commandes en e-commerce équivalentes à 1 trajet chez Auchan en fonction du poids moyen des colis.

Comparatif des émissions du e-commerce vs on-premise selon le facteur de rebond et le poids du colis
Le nombre de colis pesant plus de 5 kg représente 6% du total de livré si nous en croyons les statistiques de poids des colis exportés [2] et que nous supposons que la situation est similaire en sur le marché domestique.
Vous pouvez vous amuser à compter le nombre de trajets que vous faites pour des achats non-alimentaires et le nombre de commandes passées en ligne sur quelques mois et chercher à vous placer sur le graphe. Cela vous permettra peut-être d’ajuster votre comportement pour prendre en compte vos émissions de gaz à effet de serre. N’hésitez pas à partager votre cas personnel avec nous pour que nous puissions ajuster nos hypothèses via ce formulaire.
Crédit : L’article a été écrit par Morgane Goulain, et complété par Amr Arbani
[1] Source : https://www.kantarworldpanel.com/fr/A-la-une/amazon-ecommerce-0320
[2] Source : https://fr.statista.com/statistiques/729808/e-commerce-poids-moyen-colis-envoyes-a-l-export-france/#:~:text=Ainsi%2C%2040%25%20des%20sites%20marchands,et%201%20kilo%20en%20moyenne
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