Dans un précédent article, nous comparions les émissions de Gaz à Effet de Serre d’une journée de présentiel et de télétravail pour conclure que le travail à distance et le recours aux nouvelles technologies permettaient, sous certaines hypothèses seulement, de réduire notre empreinte carbone. Aujourd’hui, dans l’objectif d’approfondir le sujet et de réfléchir à la place du numérique dans la transition écologique, nous vous proposons de découvrir le bilan carbone de notre cabinet de conseil en transformation digitale.
Le bilan carbone, késako ?
Le bilan carbone, c’est une méthode de calcul des émissions de gaz à effet de serre (GES), inventée et normée par l’ADEME, l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie. Saviez-vous que toute entreprise de plus de 500 salariés est tenue par une obligation réglementaire, de réaliser et publier son bilan carbone tous les 4 ans ? Pour ce faire, elle peut utiliser la base carbone de l’ADEME. Il s’agit d’une base de données documentée et publique, regroupant de nombreux facteurs d’émissions. Il s’agit de la quantité de CO2 émise lors de la réalisation d’une action comme un trajet d’1km en transports en commun, la fabrication d’une ordinateur portable ou encore la production d’1 kWh d’électricité…
Les émissions d’un bilan de GES sont segmentées en 3 catégories, appelées Scopes (périmètres en Français).
- Le Scope 1 regroupe les émissions directes, principalement dues à la combustion d’énergies fossiles.
- Les émissions indirectes liées à la consommation d’électricité, de chaleur ou de froid appartiennent au Scope 2.
- Enfin, le Scope 3 inclut toutes les autres émissions indirectes tels que les déplacements professionnels, le transport des marchandises ou la gestion des déchets.
Seuls les Scopes 1 et 2 sont obligatoires dans un bilan carbone, le Scope 3 est facultatif. Cela nous porterait à conclure que l’exercice du Bilan Carbone cible en priorité les entreprises fortement consommatrices de combustibles fossiles (Scope 1) ou d’énergie électrique (Scope 2). Ce qui paraît logique. Les émissions liées au Scope 3 seront donc négligeables relativement aux Scopes 1 et 2 pour ce type d’entreprises. Nous verrons que ce n’est pas le cas pour ISLEAN, et pour la plupart des entreprises de services.
Chaque Scope contient un certain nombre de postes d’émissions dont la liste est précisée dans l’image ci-dessous :

Scopes et postes d’émissions du bilan carbone de l’ADEME
Un bilan carbone tient compte des émissions de différents gaz à effet de serre dont le CO2, le méthane ou encore la vapeur d’eau. Toutes ces émissions sont converties en une unité commune, la tonne équivalent carbone (notée tCO2e, ainsi que ses dérivés kgCO2e, gCO2e…). Ces équivalents carbone sont calculés grâce aux potentiels de réchauffement global (PRG) des gaz. Par exemple, le PRG du méthane à 100 ans est 25. Cela signifie, que sur une période de 100 ans, 1 tonnes de méthane aura le même effet de réchauffement de l’atmosphère que 25 tonnes de CO2 ! Les PRG sont donc des ratios qui permettent d’exprimer toutes les émissions dans la même unité afin d’établir un bilan carbone.
Et alors, un consultant ISLEAN, ça pollue ?
A ISLEAN, nous avons décidé d’appliquer la méthode du bilan carbone à notre cabinet afin de quantifier nos émissions de GES sur l’année 2019. Une tâche loin d’être aisée, pour plusieurs raisons que nous allons détailler.
Premier constat : la majorité (60%) des nos émissions de GES appartiennent au Scope 3. Ce sont donc des émissions indirectes et les évaluer exige de poser un certain nombre d’hypothèses. Par exemple, si notre consommation électrique (Scope 2) est facile à obtenir via nos factures d’électricité, il est plus difficile d’estimer la quantité de déchets produits par le cabinet ou le nombre de kilomètres effectués en avion dans le cadre de nos déplacements professionnels (Scope 3). Pour ces postes d’émissions, nous sommes alors obligés de formuler des hypothèses, que nous avons trouvé important de rassembler dans le tableau ci-dessous, chose rarement faite dans les publications que nous avons épluchées, ce qui jette le doute sur la rigueur du travail réalisé puisqu’on ne connait ni les sources, ni les hypothèses de calcul faites.

Bilan carbone ISLEAN en 2019
Documenter et sourcer son travail est fondamental. D’abord pour expliciter le périmètre retenu dans le Scope 3, où rien n’est imposé. Ensuite pour pour comprendre d’où proviennent les chiffres proposés, issus de calculs et de données sources. Nous avons donc pris soin de lister toutes les activités que nous avons considérées comme émettrices de CO2, les hypothèses de calcul utilisées ainsi que les sources qui nous ont permis d’accéder aux différents facteurs d’émissions.
Au bilan, avec les hypothèses de calcul retenues, c’est 81 tCO2e émis par le cabinet ISLEAN en 2019, qui était alors constitué de 22 membres. Cela représente 3.7 tCO2e par consultant sur l’année ou encore 16.9 kgCO2e par jour homme. Pour donner quelques ordres de grandeur, l’empreinte carbone moyenne d’un français est de 9.9 tCO2 en 2019 [5]. Le travail d’un consultant, sous nos hypothèses, représenterait alors 1/3 des ses émissions annuelles.
De bonnes pratiques pour devenir un green consultant
Nous avons ainsi inclus dans nos calculs les émissions liées à nos locaux : construction, chauffage, électricité, eau potable et déchets ainsi que les émissions liées aux activités de nos consultants : déplacements, alimentation, matériel informatique et utilisation du réseau. Nous avons volontairement choisi un périmètre large puisque notre objectif n’est pas d’avoir les émissions les plus faibles possibles mais plutôt de maximiser les leviers sur lesquels nous pouvons jouer pour réduire notre empreinte carbone.
C’est une autre chose que nous avons apprise : ce n’est pas tant la valeur absolue des émissions qui importent dans un bilan carbone mais l’impact des mesures de réductions des émissions qui seront mises en œuvre.

Répartition des émissions de GES d’ISLEAN en 2019
Ainsi, à partir de ce bilan carbone, nous pouvons maintenant nous concentrer sur certaines pistes d’améliorations de nos émissions comme :
- Vérifier que le système de climatisation réversible que nous avons mis en place pour remplacer la chaudière alimentée au gaz naturel a bien permis de diminuer nos émissions dont 36% sont dues au chauffage des locaux.
- Privilégier, quand c’est possible, les réunions en visio, qui permettent d’éviter les déplacements physiques, très émetteurs de CO2 (33% de nos émissions). La priorité est de réduire les trajets en avion, voiture individuelle et deux roues. Nous avons calculé qu’une réunion en visio était d’ailleurs 7 fois moins émettrice de CO2 dans notre article Réunion ou visio, bureau ou télétravail, quel impact carbone du digital ? Notre métier reposant en grande partie sur la confiance, il est donc important de rencontrer nos clients pour créer une relation au-delà de l’objet de la mission. Cela rend certaines réunions présentielles nécessaires, du moins c’est ainsi que nous le vivons en l’état actuel des technologies et des humains. D’autres réunions, plus procédurales, peuvent cependant avantageusement être remplacées par des visios.
- Garder en tête que la nourriture représente une grosse partie de nos émissions, notamment à cause de la présence de protéines animales complexes comme le bœuf. D’après la base carbone de l’ADEME, un repas avec du bœuf équivaut à 7,2 kgCO2e, un repas avec poulet 1,6 kgCO2e tandis qu’un repas végétarien émet seulement 0,5 kgCO2e, soit 14 fois moins que le bœuf ! Chez ISLEAN, la plupart de nos repas proviennent de restaurants de proximité, et sont probablement plus riches en protéines que ce qu’on pourrait cuisiner chez soi. Réduire sa consommation de viande aurait donc un impact très positif sur l’environnement
Et le numérique dans tout ça ?
8% de nos émissions sont liées au numérique, ce qui inclut la production et l’utilisation de notre matériel informatique ainsi que la transmission de données sur le réseau. Cette valeur reste raisonnable pour une boite de conseil en transformation digitale, au regard de la part du numérique dans les émissions mondiale qui est de 4,2%. Cependant, elle nous montre que le numérique émet du CO2, notamment le stockage ou le trafic de données sur internet, alors que son caractère immatériel aurait tendance à nous le faire oublier. Aussi, si le recours au télétravail et à la visio restent moins émetteur de CO2 que le présentiel, il ne faut pas non plus en faire un usage irraisonné. Comme nous le montrions dans un précédent article, il faudrait 14 h de visio par jour pour qu’une journée en télétravail émette autant de CO2 qu’une journée en présentiel. Un chiffre élevé, mais pas non plus démesuré.
Il s’agit d’ailleurs de l’une des principales craintes liées au numérique : l’explosion des usages due au confort que procurent les nouvelles technologies. Ainsi, si l’apport du numérique était au départ d’améliorer l’efficacité avec laquelle une ressource est gérée, on observe très souvent une augmentation de la consommation de cette ressource à la suite d’une réduction des coûts d’utilisation. Ce constat, portant le nom d’effet rebond ou paradoxe de Jevon, est également très répandu en économie.
Pour limiter les effets rebonds, il est donc important d’encourager la sobriété numérique, c’est-à-dire un usage durable des nouvelles technologies afin de réduire l’empreinte carbone du numérique.
Elle s’articule principalement autour de 3 axes [2] :
- Ne pas surdimensionner les équipements relativement à l’usage qu’on veut en faire
- Les changer le moins souvent possible car leur production est très émettrice de CO2. Préférez donc des machines qui durent, ou qui peuvent être recyclées avec un minimum d’effort (upgrade RAM, remplacer un disque dur par un SSD…)
- Réduire les usages énergivores superflus.
Par exemple, il faut compter 156 kgCO2e pour la production d’un ordinateur milieu de gamme [1]. Si ce matériel est conservé 3 ans, cela représente une empreinte carbone annuelle d’environ 50 kgCO2e, alors qu’elle n’est que de 30 kgCO2e si le matériel est conservé 5 ans. Chez ISLEAN, nous ne fournissons pas de matériel informatique aux consultants mais l’initiative Apportez vos propres outils (AVOP) ou Bring Your Own Device (BYOD) leur permet de financer leur propre matériel. Cela permet de réduire notre empreinte carbone puisque nous possédons qu’un seul smartphone et un seul ordinateur, pour des usages à la fois professionnels et privés. Pour tenir compte de cette spécificité dans nos calculs, nous avons divisé par deux les émissions liées à la production des ordinateurs et smartphones, en considérant qu’ils étaient utilisés à 50/50 dans le cadre privé et professionnel.
Ainsi, le numérique se présente comme un atout puissant de la transition écologique, à condition de contrôler son usage. Par exemple, la diffusion de voitures autonomes peut très bien réduire massivement nos émissions en devenant des voitures partagées qui optimisent les déplacements, comme les augmenter si elles deviennent des voitures individuelles qui permettent à chacun d’habiter toujours plus loin, en profitant de l’autonomie de leur moyen de transport pour travailler sur leur trajet. En France, le Shift Project a publié de nombreux rapports pour alerter sur les usages incontrôlés du numérique tandis que le Sénat commence à introduire dans sa politique des mesures pour réduire l’impact environnemental du numérique [6] !
N’hésitez pas à nous donner votre avis sur cet article via ce court sondage !
Sources
[1] Base carbone de l’ADEME : https://www.bilans-ges.ademe.fr/fr/basecarbone/donnees-consulter/choix-categorie
[2] Rapport sur la sobriété numérique, The Shift Project 2018 : https://theshiftproject.org/article/pour-une-sobriete-numerique-rapport-shift/
[3] Carbon on the cloud, Medium : https://medium.com/stanford-magazine/carbon-and-the-cloud-d6f481b79dfe
[4] Résultat de l’étude Quantis de 2015 pour le café moulu : https://www.nespresso.com/entreprise/sites/default/files/p10/2020-05/infographie-empreinte%20carbone_0.pdf
[5] Site du gouvernement pour le développement durable : https://ree.developpement-durable.gouv.fr/themes/defis-environnementaux/changement-climatique/empreinte-carbone/article/l-empreinte-carbone-de-la-france#:~:text=En%202019%2C%20l’empreinte%20carbone,%25)%20de%20l’empreinte.
[6] Site du Sénat : http://www.senat.fr/espace_presse/actualites/202006/reduire_lempreinte_environnementale_du_numerique_un_etat_des_lieux_inedit_et_une_feuille_de_route_pour_la_france.html
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