En avril 2016, sous l’Arche de la Défense, se tenait le BIM World (Building Information Modeling), forum mondial du numérique pour le BTP. Durant deux jours, j’ai assisté à de nombreuses conférences et eu l’opportunité de rencontrer des experts du secteur. Voici pour moi ce qu’il faut en retenir du BIM.
BIM : le bâtiment à l’ère du numérique ?
La “caisse à outils” se modernise
Afin de mesurer l’ampleur du sujet, il convient d’en expliciter un peu les notions principales, à savoir le secteur du bâtiment et les évolutions technologiques vers lesquelles il s’engage.
Ce secteur se caractérise par une grande segmentation des activités, à la fois verticale avec différentes phases lors d’un projet et horizontale par la pluralité des métiers intervenant sur chaque phase. Cette double fragmentation implique un grand nombre d’acteurs spécialisés sur des marchés locaux ce qui, au lieu de favoriser une organisation souple, contribue plutôt à générer des coûts supplémentaires, afin de réunir l’information nécessaire pour prendre des décisions pertinentes, et ce sur tout le cycle de vie du bâtiment. L’enjeu principal dans l’exécution d’un projet de construction est donc la coordination et collaboration de cette multitude d’acteurs afin de lever le maximum d’incertitudes.
C’est dans ce contexte que les technologies de l’information revêtent toute leur importance : elles permettent de fournir et partager les connaissances à un moment donné. Parmi ces technologies, une se distingue particulièrement de nos jours, par la médiatisation importante et les espoirs qu’elle véhicule : le BIM !
Le BIM, késako ?
En théorie, le BIM est une méthode de travail basée sur la collaboration autour d’une maquette numérique grâce à un langage d’échange commun et standardisé : le format IFC (Industry Foundation Classes). Chaque acteur de la construction utilise cette maquette et en tire les informations dont il a besoin pour son métier. En retour, il enrichit de nouvelles informations pour aboutir à un objet virtuel, représentatif de la construction, de ses caractéristiques géométriques et propriétés fonctionnelles. La maquette numérique est une maquette 3D comportant des renseignements sur la nature des objets. On parle alors d’objets intelligents, au sens où le BIM possède une base de données pouvant être exploitée.
Il convient de préciser que l’acronyme anglais (en français, « bâtiment et informations modélisées ») signifie en réalité trois choses distinctes souvent sujettes à confusion :
- La maquette numérique (Building Information Model)
- Les méthodes de travail pour concevoir numériquement et de manière collaborative un bâtiment (Building Information Modeling)
- La gestion des échanges et des données du bâtiment modélisé (Building Information Management)
Ainsi, le M du BIM a plusieurs interprétations mais toute la valeur ajoutée réside bien dans le I pour informations c’est-à-dire les données sur le bâtiment que l’on va échanger.
De l’importance de la donnée
Bien plus que le BIM, la thématique générale de ces deux jours de forum était donc orientée autour de la donnée et de son traitement pour une meilleure connaissance du bâtiment. Comment acquérir la donnée ? Comment garantir la qualité de la donnée, s’assurer de sa fiabilité ? Comment la visualiser ? Comment coordonner les outils autour de l’exploitation des données ? Voici un panel non exhaustif des questionnements soulevés par l’intrusion du numérique dans la filière du bâtiment. Ces questions n’ont d’ailleurs pas toujours trouvé réponse concrète au BIM World.
Le BIM World 2016 a rassemblé plus de 130 exposants, présenté 75 conférences et abordé les thèmes du BIM, des Systèmes d’Information Géographique, de l’IoT (Internet of Things), de la Gestion Technique Centralisée, ceci dans une démarche d’adaptation des outils aux usages (cognitif, écologique…). Ce sont donc les grandes problématiques du BTP en général qui ont été évoquées au travers des regards de divers experts métier, de la Maîtrise d‘Ouvrage au Maître d’Oeuvre en passant par les architectes et les éditeurs de logiciels. Ce qui en ressort, c’est le besoin d’outils de la part de tous les acteurs du bâtiment qui souhaitent aller vers la digitalisation, ou d’inter-connexions entre leurs outils existants : le BIM, oui mais pas seulement ; ce sont les technologies du digital qu’il faut s’approprier. Nous sommes à l’ère de l’optimisation et de la connexion entre les personnes et les objets, entre les processus, entres les données : « on veut comprendre nos bâtiments grâce aux données ».
Le BIM peut-il couvrir tout le cycle de vie du bâtiment ?
Sur le papier, « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes », mais qu’en est-il sur le terrain ? Il me semble important de mentionner la réalité du BIM aux différentes phases du cycle de vie du bâtiment. En effet, les outils actuels ont été développés pour les phases de conception et construction mais ne sont absolument pas orientés vers l’exploitation- maintenance. Ainsi, les outils de « facility management » n’existent pas encore et l’exploitation d’un bâtiment à partir de sa maquette numérique n’en est qu’à ses débuts, d’après les propos recueillis auprès des interlocuteurs rencontrés. D’un côté, les grands groupes comme Vinci ou Bouygues, qui se sont déjà lancés dans des projets de « BIM construction » évaluent la suite. Bouygues s’attelle à la tâche sur le projet BIM du nouveau Palais de Justice de Paris, réalisé en projet Partenariat Public-Privé pour lequel il aura en charge la maintenance De même pour Vinci sur le nouveau site de Thalès à Vélizy. De l’autre côté, des éditeurs de logiciel de gestion patrimoniale (Active3D, Abyla, Allfa…) qui existaient déjà avant l’arrivée du BIM, l’utilisent désormais au sens de maquette numérique, pour alimenter leurs bases de données pour l’exploitation.
BIM, BAM, BOUM : quel avenir pour le BIM en France ?
Avant toute chose, ce que j’ai pu ressentir lors de ce forum c’est l’avis mesuré et nuancé qu’ont eu mes interlocuteurs concernant cette technologie malgré une très forte médiatisation ; en effet, il y a un certain décalage entre d’une part, la théorie visionnaire et prometteuse qui fait du BIM l’outil inéluctable pour le BTP et d’autre part, la pratique actuelle de cet outil qui n’en est qu’aux prémices du fait d’une technologie encore débutante utilisée par une minorité de sociétés. Le BIM se déploie sur quelques gros chantiers en France, mais ce n’est pas la norme. Il apparaît donc d’abord comme un formidable outil de communication pour vendre un projet, mais aussi faciliter le dialogue entre maître d’œuvre et maîtrise d’ouvrage. Sur chantier, le BIM n’a pas encore apporté de changements. On y travaille toujours à partir des plans papier, même si la R&D (notamment Bouygues) travaille à l’utilisation du BIM via des tablettes, Google glass, etc.
Tous s’accordent néanmoins à dire que le BIM est une technologie qui, au-delà du simple outil va bouleverser les processus et l’organisation des acteurs du bâtiment. Le BIM semble aussi source d’économie ; d’après le Manifeste du BIM World 2016, 65% des économies réalisables sur le coût global sont possibles dès lors que les bonnes décisions sont prises en phase de conception. L’atout du BIM promu par ses défenseurs est donc « construire avant de construire » avec aussi la possibilité d’anticiper sur la maintenance qui représente la majorité du coût global du bâtiment.
Quelles sont donc les prochaines étapes pour le déploiement du BIM en France ? Il y a en France plus de 2 milliards de m² bâtis et des millions de professionnels et d’agents des collectivités concernés ; les enjeux de marché et de compétitivité sont donc immenses. Le Plan Transition Numérique dans le Bâtiment impulsé par l’Etat en janvier 2015 a pour vocation de lancer les grandes démarches selon une feuille route à horizon 2025 intégrant l’ensemble des acteurs de la filière – très dispersée avec 95% de TPE – afin de ne laisser personne à la traîne ; il ne s’agira très certainement pas d’une obligation légale à l’utilisation du BIM (en application de la directive européenne de janvier 2015 sur les marchés publics), mais d’une incitation ainsi qu’un accompagnement des entreprises qui s’engageraient dans la démarche BIM en « développant un écosystème numérique de confiance ».
A suivre notre prochain article : “Définition du BIM et enjeux des parties prenantes”
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