Comment avoir des GAFAMs en Europe ?
Préambule
Je suis consultant dans le cabinet de conseil en stratégie et transformation à l’ère digitale. Notre motivation est de « Créer demain. Maintenant. »
La matière que nous manipulons quotidiennement, c’est la transformation des activités humaines, leur reconception avec les formidables outils amenés par la révolution de l’Internet, infiniment plus puissants et abordables à de simples individus, sous réserve de se donner la peine de s’y intéresser, et de s’entourer des personnes qui savent que c’est possible, et qui comme nous veulent créer demain, plutôt que maintenir le statu-quo et protéger leurs rentes.
Quand nous réalisons des missions d’élaboration de stratégie numérique, nos préconisations privilégient un équilibre entre adaptation au besoin, performance, coût, pérennité, et vont souvent vers les grandes sociétés digitales des Etats-Unis, dont les archétypes sont les GAFAMs, avec trois en particulier au coeur de l’informatique d’entreprise : Amazon, Microsoft et Google. Notez bien : ces acteurs ont tous démarré avec des clients grand public, et sur cet actif de clientèle, ont ensuite pénétré les entreprises.
Pourquoi ces acteurs américains et pas Français ou Européens. C’est regrettable mais très simple : parce que les solutions commercialisées par ces acteurs sont, en rapport qualité sur prix, de loin, de la tête et des épaules, devant tous les autres acteurs de France et d’Europe, à quelques rares exceptions près.
C’est regrettable pour nos emplois, notre prospérité, notre souveraineté, qui sont en jeu. Quoique, la France et l’Europe ont des pépites, notamment de superbes sociétés de services informatiques mondialisées, et quelques licornes émergées ces 15 dernières années. Après tout, les Etats-Unis nous ont sortis de la barbarie de la guerre par deux fois au cours de ces cent dix dernières années, et jusqu’à preuve du contraire, c’est encore un pays de libertés qui respecte la loi écrite et les contrats. Récemment, l’administration Biden a accepté de respecter les réglementations européennes de protection des données. Si on veut aller plus loin, on peut utiliser un GAFAM pour développer et héberger ses systèmes d’informations sans crainte, en chiffrant les données avec des clés possédées par vous, et aucun procureur Américain ne pourra lire vos données. En secours ultime, nous préconisons de maitriser une copie de vos données physiquement et géographiquement, pour pouvoir redémarrer votre système d’information le cas échéant. Ce sera peut-être plus cher, moins performant, plus compliqué, mais vous pourrez redémarrer votre système nerveux. A titre individuel, j’ai plus d’une copie chez moi de mes données localisées dans le Cloud d’un GAFAM suivant la règle du 3-2-1 (cf. https://www.sauvegardedefichiers.fr/respecter-la-regle-de-sauvegarde-3-2-1-pour-ne-pas-perdre-ses-donnees00733).
Pourquoi cet article
De par l’observatoire que m’offre mon métier de consultant et le réseau dont je dispose, j’ai voulu dresser un panorama des raisons qui font que les décideurs choisissent aujourd’hui généralement les entreprises américaines et pas françaises ou européennes, et qu’est-ce qui a fait qu’il existe des GAFAM en Amérique du Nord et leur copie, les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) en Chine, et rien qui y ressemble en Europe.
Sources utilisées
Pour ce faire, j’ai interrogé mon réseau, et à la date de cette première version d’article, j’ai pu recueillir les points de vue de ces personnes :
- un ingénieur fondateur d’une société de services informatiques mobilisant des équipes dans le monde entier
- un autre ingénieur, consultant, puis entrepreneur ayant vendu une première société d’édition de logiciel SaaS à une entreprise japonaise, et ayant fondé une deuxième société d’édition de logiciel SaaS de traçabilité
- un architecte informatique, formé dans une ESN leader française, ayant construit les systèmes d’information de plusieurs start-up aux Etats-Unis puis en France, start-up ayant toutes finies valorisées plusieurs dizaines ou centaines de millions de dollars
- une autre architecte informatique, fondateur et membre du COMEX d’une ESN leader française, ayant participé à la plupart des grands projets innovants en France au cours de 50 dernières années, toute sa vie penseur et faiseur
- un CTO « Chief Technical Officer » d’une start-up française, qui a travaillé plusieurs années auparavant dans une société d’édition de logiciels à San Francisco
- un businessman du numérique, disposant de 30 ans d’expérience et ayant récemment vendu sa société à un géant du numérique européen
- un des fondateurs d’une licorne françaises.
J’ai aussi puisé de l’inspiration de lectures, notamment d’articles de Nicolas Colin (comme celui-ci exemple https://europeanstraits.substack.com/p/france-as-revealed-by-its-elite), et d’interactions avec des clients à cheval entre les Etats-Unis et la France.
Voici ce qu’ils m’ont dit en réponse à la question : « Pourquoi choisir les GAFAMs, et pas un acteur européen ? ».
Parce que c’est d’un meilleur rapport qualité sur prix
Les GAFAMs, dont essentiellement Amazon, Google et Microsoft, offrent des services d’hébergement « Bare Metal » c-à-d. des serveurs physiques dans une salle sécurisée, et des services élaborés sur ces machines, à des prix qu’aucune start-up ne pourrait se permettre. Héberger professionnellement des serveurs, c’est 3 à 5 compétences rares, à environ 120 k€/an/personne de coût complet. Et pendant qu’on s’occupe d’acheter, d’installer et d’administrer des serveurs, on ne s’occupe pas de développer les services qui vont fonctionner sur ces dits serveurs.
Au-delà de ces services Bare Metal, Google, Amazon et Microsoft offrent toute une panoplie de services de plus hauts niveaux qui permettent de focaliser ses moyens sur les innovations métiers : choix des operating systems, hypervision, calcul réparti, gestion automatique de la charge, briques de gestion de l’IoT, gestion IAM, Big Data, Machine learning, Intelligence artificielle, et j’en passe. L’informaticien que j’ai connu dans les années 2000 devait s’occuper de tout cela, en plus du projet pour son client. Aujourd’hui, tout cela est sur étagère. Pour prendre une analogie, c’est comme avoir à disposition de la pâte à pizza, de la sauce et de la garniture dans un kit, au lieu d’avoir à partir des ingrédients bruts : farine, tomates fraiches, jambon…
Des acteurs français et européens émergent, avec plusieurs années de retard cependant. Ils s’appellent OVH, Scaleway (Free) et Outscale (Dassault) pour ne citer que ceux-là. Les services fournis sont de bien plus bas niveau que ceux des GAFAMs, ça coûte donc plus cher sauf si on a de très gros systèmes, et ça prend plus de temps de faire la même chose. Malheureusement pour eux, nous avons aussi reçu des témoignage de service insuffisants, comme par exemple des serveurs en panne pour des services critiques, et remis en fonctionnement en dehors des engagements de service.
Google est le leader des moteurs de recherche, de la publicité, de la video, et un des leaders de la collaboration en ligne. De par les données collectées, c’est aussi un des leaders de l’IA.
Microsoft est le leader de la bureautique et de la collaboration en ligne, et un des leaders de l’hébergement IaaS et PaaS. Avec Open AI, Microsoft a repris une place de leader en IA.
Apple est le leader du marché des applications rémunératrices et, pendant encore un temps, des terminaux smartphone, tablettes et ordinateurs. Apple a aussi adopté un positionnement de protection de la vie privée, sujet qui va être de plus en plus critique.
Amazon est un commerçant en ligne de premier rang, et le leader de l’hébergement (IaaS) et des services à valeur ajoutée autour de l’hébergement (PaaS).
Meta/Facebook est un des leaders de la publicité et des réseaux sociaux. La création de Metaverse a été un échec, mais ce n’est peut-être que partie remise.
Ni en France ni en Europe nous n’avons d’acteurs fournissant de tels services à des rapports qualité sur prix comparables. Nous n’avons pas de smartphones, pas de tablettes, pas d’ordinateurs, pas de services aussi élaborés que les GAFAMs.
Parce qu’ils sont Américains
Il y a une aura de professionnalisme et de sérieux de tout ce qui vient des Etats-Unis. Business Object, société d’origine française, a changé de cour quand elle est entrée en bourse aux Etats-Unis et a communiqué comme si c’était une société américaine. Les clients se sont mis à affluer.
Paradoxalement, on tordra les lois pour un acteur américain, ou alors c’est ce dernier qui structurera les lois européennes d’un secteur émergent, mais on forcera une entreprise européenne à rentrer dans le cadre, au prix d’une perte de temps et de dispersion de moyens de l’objectif de création de valeur.
Parce qu’un pays du nord de l’Europe n’achète pas à un pays du sud de l’Europe
Aux yeux d’un Allemand, une société française n’est a priori pas crédible. Et vice-versa, une entreprise française n’achètera pas à un acteur allemand, sauf si c’est SAP. Il n’y a pas de culture de la confiance intra européenne. Il n’y a pas de préférence Européenne. Il n’y a pas de crédit d’intention intra européen. Des siècles de guerre ont laissé des passifs profonds. Et nos pays sont, malgré des décennies d’efforts de convergence, encore des entités très différentes, avec des réglementations locales plus exigeantes que la réglementation européenne pourtant sensée s’imposer à tous.
Parce qu’ils sont gros
Ça rassure. On se dit, à raison, qu’une société qui a 100 millions d’utilisateurs, 50 milliards de valorisation boursière, et 10 milliard de chiffre d’affaires, c’est solide, et qu’elle sera encore là dans 3 à 5 ans. Dans des grandes entreprises, on peut être viré pour avoir pris un risques en choisissant un « petit » fournisseur, pas en choisissant un gros. On prend moins de risque de se faire virer en ayant choisi SAP et IBM.
Parce qu’ils savent se mettre en valeur
Combien de fois suis-je tombé sur le site web incroyablement beau, simple, clair, tranchant, d’un service numérique d’une société américaine, qui s’est avéré in fine décevant ?
Les Américains ont l’art du marketing et de la communication, et savent ainsi décupler l’impact de leurs actifs technologiques, quitte à les survendre. « Fake it, until you make it » : il y a parfois même une mécanique vertueuse qui se met en place. Faire croire à plus que ce qu’on sait faire. Commencer à vendre sur ces bases. Gérer l’insatisfaction avec des remises ou des promesses et en parallèle lever des fonds sur les premières réussites. Avec les fonds ainsi levés, TENIR les promesses qui ont été faites à découvert, et rembourser les pertes initiales dues aux premiers clients insatisfaits.
Comment fournir un terreau favorable à l’épanouissement d’un GAFAM en Europe ?
La taille du marché
Un sujet qui est revenu chez tous mes interlocuteurs sauf un : le marché états-unien (hors Canada), c’est 330 millions d’habitants anglophones, avec des réglementations relatives aux technologies de l’information très homogènes d’un Etat à l’autre, et une homogénéité culturelle. Un service grand public (B2C) ou pour entreprises (B2B) dispose d’un marché facilement pénétrable avec une seule version de système, un seul jeu de lois à maitriser, une seule manière de faire du marketing et des ventes.
La Chine est un pays où l’économie est dirigée par l’Etat, avec un marché de 1400 millions de personnes, avec une homogénéité linguistique imposée, et une interdiction des acteurs étranger, qui ont quasi tous quitté le marché au profit d’acteurs nationaux. Partis de rien il y a vingt ans, les BATX chinois sont aujourd’hui à jeu égal avec les GAFAMs, voire les surpassent, notamment en IA comportementales (images, UX).
L’Union européenne, d’après wikipedia, c’est certes 450 millions d’habitants, mais des dizaines de langues ; malgré des efforts d’uniformisation européenne, une diversité légale encore très forte, et des différences culturelles qui sont sûrement une richesse, mais pas pour la pénétration de solutions informatiques. Le résultat est que, au lieu de 450 millions de clients, la plus gros marché potentiel atteignable est au mieux de 80 millions de personnes avec l’Allemagne.
Un de nos entrepreneurs avec lequel nous avons discuté nous a expliqué que s’implanter dans un pays de plus signifiait l’obligation de créer une structure juridique du pays donné, de comprendre et se conformer aux règles fiscale du dit pays, de comprendre et se conformer aux droit du travail du dit pays, et de comprendre et se conformer aux règles légales relatives à son activité : alimentaire, chimique, vie privée, données de santé, bancaires… A vue de nez, cet entrepreneur me disait que ouvrir un pays nécessitait entre 0,5 et 1 M€ de coûts par an en plus de tout ce qu’il faut faire sur le coeur de métier. Au-delà de ces coûts qui nécessitent de lever plus de capital, c’est aussi du temps perdu à faire de l’administration au lieu de développer ses produits et ses services.
Quelques idées : créer le statut de société européenne, ayant le droit d’utiliser des règles fiscales, de droit du travail, etc. définies au niveau européen, ou, peut-être plus simple, autoriser une société créée dans un pays X de l’Europe (espace Shengen ?) à vendre des produits et services dans toute l’Europe, en suivant son droit domestique, et à employer des gens dans toute l’Europe, suivant son droit domestique.
Faire des réglementations européennes en interdisant à certains pays d’aller plus loin que les lois européennes. Pousser la convergence des lois et règlements. Simplifier.
Obliger TOUS les acteurs européens à accepter de traiter des IBAN de l’espace SEPA (En 2017, l’URSSAF refusait de mettre en place un prélèvement automatique sur un IBAN ne commençant pas par « FR »).
Généraliser l’emploi de l’anglais (snif).
Pour la culture, je ne pense pas qu’on y arrivera, ni d’ailleurs que ce soit souhaitable. Ou alors inciter nos jeunes à faire plusieurs fois le tour de l’Europe, au titre des loisirs et des études.
L’accès au financement
En Silicon Valley, entre San Francisco et San José, le premier tour de financement « friends and family » se monte souvent à plusieurs centaines de milliers d’euros/dollars. Quand une société commence à avoir des clients et à générer de la confiance, lever des dizaines de millions de dollars ou des centaines de millions de dollars est monnaie courante.
En France, le premier tour « friends and family » est au mieux de cent-mille euros, et, bien que les choses changent avec la BPI et les fonds familiaux, toutes les levées récentes de grande ampleur ont eu lieu avec des fonds américains, comme par exemple Dataiku qui a annoncé le 24 août 2020 une nouvelle levée de 100 millions de dollars (https://www.lemagit.fr/actualites/252488157/Dataiku-100-millions-de-de-plus-pour-confirmer-son-statut-de-leader).
Le CEO d’une autre probable future licorne expliquait aussi en juin 2023 : « Notre prochaine levée devra être de 100 M€. La moitié devra être prise par un Lead Investor. Pour lui, cela ne devra pas dépasser 5% de son fond. Donc il faut que son fond ait au moins une taille de 50/0,05 = 1 G€. Il n’y a pas de tel fond en Europe. Donc lors de notre prochaine levée de fonds, nous auront un acteur Américain à notre Board. »
Les causes : les entrepreneurs américains ont beaucoup d’argent, pas en France où ils sont écrasés de charges sociales, de taxes diverses, et d’impôts, sans compter le coût que représente la lourdeur réglementaire à laquelle les entrepreneurs doivent se conformer.
Autre cause : il y a d’immenses fonds de retraite par capitalisation, qui cherchent à diversifier leur placement, et dont une partie va alimenter les sociétés technologiques.
En France on est conservateurs, peureux, on préfère gagner quelques % sans prendre de risque, plutôt que de financer l’innovation où 99 sociétés vont capoter, mais la centième paiera pour les 99 premières au centuple.
Quelques idées : réduire les charges sur les revenus ou le capital des entrepreneurs quand réinvesti dans l’économie du numérique. Créer des fonds de retraite par capitalisation devant investir une partie dans des entreprises européennes innovantes.

Le nerf de la guerre
L’accès aux marchés
En France, on n’a pas de Small Business Act obligeant l’Etat et les entreprises à acheter aux PMEs. Au contraire, nombre de décideurs privilégient les « gros » de peur d’échouer en travaillant avec des « petits ». L’adage « j’ai choisi XXX (=grosse boite connue), on ne peut pas m’en vouloir si ça a planté » a encore de beaux jours devant lui.
Les directions des achats massifient auprès d’acteurs de grande taille pour, croient-elles, obtenir de meilleurs prix. Mais aussi pour réduire le risque suivant : Il y a des lois en France qui contraignent des clients à embaucher les salariés d’un fournisseur si ce dernier réalisait plus de 30% de son chiffre d’affaire avec ce dit client, et si l’arrêt d’un contrat a ainsi causé la faillite de ce dit fournisseur. Je ne l’ai jamais vue appliquée, mais j’en ai entendu plusieurs fois parler comme argument pour ne retenir que « les fournisseurs réalisant plus de 50 M€ de chiffre d’affaires. »
Il est très difficile pour un nouveau venu de prendre des places dans les gros marchés publics ou privés pour d’autres raisons. L’une d’elles est la volonté de faire en interne, pour avoir de grosses équipes sous ses ordres, avec le justificatif de la sécurité, du contrôle, de la qualité…
Une autre est la préférence d’un acteur de connivence dont on connait la performance moyenne au détriment d’un acteur inconnu prometteur qu’on ne teste même pas sur un périmètre d’essais.
Aux Etats-Unis, l’Etat achète massivement à Microsoft, Google, Amazon, des services qu’il estime de meilleur rapport qualité sur prix. Google Earth a été financé par le Pentagone. Les entreprises achètent sans état d’âme à des prestataires plutôt que de faire en interne.
Barack Obama, voyant les budgets de la Nasa enfler et ses réussites se raréfier, a fait appel à Tesla et à Boeing. Nous avons vu récemment le résultat : pour la première fois dans l’histoire, une entreprise privée dessert la station spatiale internationale, deux fois moins cher que Boeing.
Cette culture de l’achat au privé, facile, massif et décomplexé n’existe pas en France.
Quand vous avez une plus forte probabilité de chiffre d’affaire dans votre marché, vous grossissez plus vite, vous levez plus facilement de l’argent.
Quelques idées pour que nos marchés publics et privés favorisent nos acteurs européens : le respect de la vie privée, la performance carbone, le maintient de l’emploi, un small business act.
La culture de l’aventure versus l’aversion au risque
« Venture capital », cela veut dire l’investissement de l’aventure, ça donne un petit gout de Mike Horn qui traverse l’Amazonie en pirogue avec la banane. « Capital risque », ça fait serrer les fesses, on va dilapider l’héritage de tante Suzanne ou les économies d’une vie.
Les Américains essaient, échouent, apprennent, essaient autrement, et beaucoup finissent par réussir, d’ailleurs souvent ailleurs qu’ils l’avaient initialement imaginé. En France on échoue et on finit interdit bancaire à la Banque de France, obligé de prendre un compte nickel au bureau de tabac ou de vivre avec du cash.
La pépite française Criteo a changé plusieurs fois de promesse de valeur (4 ou 5, cf. le livre « On ne savait pas que c’était impossible, donc on l’a fait » d’un des fondateurs) avant d’arriver au reciblage publicitaire qui lui a permis d’entrer au Nasdaq.
Jeff Bezos a essayé de nombreuses choses – qui se souvient, par exemple, de l’Amazon Phone ? – qui ont échoué lamentablement à grands frais, mais pour la réussite qu’on connait sur d’autres sujets aujourd’hui.
Idée : faire entrer le monde de l’entreprise dans les institutions d’éducation. Faire des échanges, raconter les histoires des entrepreneurs, généraliser les émissions comme celles avec Marc Simoncini « Qui veut être mon associé ».
La culture pour laquelle l’argent est la marque de la réussite, pas une honte inégalitaire à cacher
Là on ne pourra pas y faire grand choses, à part montrer qu’in fine, une société où les gens innovent est globalement plus riche avec moins de pauvres qu’une société où la réussite est suspecte et où on poursuit le graal de l’égalité, sans se soucier qu’elle se fasse par le bas.
Idée de solution : permettre à tous de faire des passages en entreprise, former à la micro économie.
L’orientation résultat
« Aux Etats-Unis, seul le résultat compte, en France, on s’en fout. Ce qui compte, c’est d’avoir de grosses équipes et de préserver ses rentes et celles de ses copains »

Arriver, pas forcément là où on l’imaginait
Moins de chasses gardées, plus de circulation des richesses, moins de situations inexpugnables
En France, quand une société commence à réussir, des gros cherchent d’abord à la bloquer, puis, si cela ne suffit pas, ils l’achètent. « First they laugh at you, then they ignore you, then they fight you » et malheureusement, ça finit souvent par « then they buy you » au lieu de « then you win ». L’équipe d’entrepreneur, épuisée, est finalement contente d’une sortie honorable à 10 ou 100 millions d’euros, plutôt que d’aller chercher le milliard.
Exemples : boursorama racheté par la Société Générale, Captain Train racheté par Trainline, Compte nickel racheté par la BNP. Exalead racheté par Dassault.
Des exceptions, à ce stade : free.fr. OVH. Criteo. Dataiku.
Idées : lutter contre les conflits d’intérêts (cf. livre de Martin Hirsch, « Pour en finir avec les conflits d’intérêt »). Je crains que seul un changement culturel, donc long et aléatoire, ne puisse apporter de solutions.
La prime au leader « Winner takes all »
C’est un argument qui est revenu moins souvent. Mais qui est vrai à deux titres : le premier venu a investi considérablement, a appris, a conquis des parts de marché, et les autres arrivants ne peuvent plus rentabiliser leurs investissements nécessaires pour approcher la qualité du produit du leader, sauf à trouver comment lui prendre des parts de marché par des innovations. Le conformisme et la crainte de rester sur le mauvais cheval finit d’achever les acteurs qui n’ont pas réussi à rester au top. Un exemple douloureux est la disparition de Viadeo face à LinkedIn.
Là on ne peut rien faire, ou alors reproduire ce que réussit avec talent Rocket Internet (https://fr.wikipedia.org/wiki/Rocket_Internet), société allemande qui copie les start-up numériques qui réussissent, et souvent arrivent en numéro 2 ou 3 derrière le précurseur.
Favoriser son écosystème qui vous renvoie l’ascenseur
Au salon Vivatech de 2019, le stand Amazon était impressionnant : c’était une planète avec des dizaines de sociétés françaises en satellites.
Tous ces acteurs du Cloud offrent des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros de services gratuits aux start-up. Résultat, on en conçoit une reconnaissance, et s’y on n’y prend pas garde, on devient dépendant des technologies et services avec lesquels on a construit son entreprise.
Idée : faire pareil (si ce n’est pas déjà le cas) avec OVH, Scaleway, Outscale, etc. Offrir des services gratuits à des acteurs européens.
En conclusion
Cette analyse auprès de tous ces acteurs a été riche, en ce qu’elle a confirmé certaines de mes intuitions, m’a apporté de nouveaux éclairages, et a renversé certaines croyances que j’avais.
En synthèse, je retiens que la partie ne sera ni facile ni rapide pour que l’Europe ait des acteurs à parité avec les GAFAMs, parce qu’à part certaines mesures techniques à la portée de nos politiques, la plupart des freins sont de l’ordre culturel.
Récapitulons ce qu’on pourrait faire sur le terrain culturel, malheureusement des actions du type « yaka » :
- généraliser l’usage de l’anglais dans les affaires et les technologies ;
- améliorer la culture du marketing, de la comm, de la publicité ;
- faire émerger un sentiment européen et de préférence européenne qui dépassent nos inimitiés séculaires ;
- promouvoir le plaisir de prendre des risques mesurés, comme moyens de se réaliser et d’apprendre pour in fine réussir ;
- prendre conscience que les plus pauvres dans une société avec des inégalités mais globalement plus riche sont mieux lotis que les plus pauvres dans une société de gens égaux dans la pauvreté, et que l’argent généré par les entrepreneurs n’est ni honteux, ni malhonnête, ni sale ;
- passer à davantage à une culture du résultat ;
- faire la chasse aux rentes, aux chasses gardées, au copinage, à la connivence.
Fort heureusement, des mesures techniques bien plus à notre portée auront des effets bénéfiques :
- faciliter l’émergence d’un marché européen plus homogène en poussant la convergence des normes européennes, en incitant à ne pas aller plus loin, ou avec des contreparties ;
- réduire les charges, taxes et impôts sur les flux d’argents qui alimentent l’innovation, et pas marginalement comme c’est le cas aujourd’hui. Par exemple, supprimer CSG et CRDS sur la plus value des parts de start-up vendues par les entrepreneurs et leur investisseurs ;
- réduire puis supprimer le maquis des aides, le CIR, les JEI, qui coutent des heures et des jours d’exploration et mettent les sociétés à risque. Privilégier des baisses de charge, taxes, impôts, simplifier les réglementations ;
- mettre en place un small business act pour flécher de l’argent public et privé vers les sociétés innovantes ;
- mettre en place des règles conformes aux accord de l’OMC permettant de privilégier les acteurs européens : protection de la vie privée, entreprise d’importance vitale, empreinte carbone ;
- mettre en place des fonds de retraite par capitalisation pour pouvoir conserver les licornes ;
- poursuivre les actions de la BPI en réduisant encore les barrières à l’entrée pour les subventions et les prêts bonifiés.
Je finirai par du volontarisme optimiste, qu’on pourra de qualifier de naïf, en citant à nouveau le livre qui raconte l’histoire de Criteo : « Nous ne savions pas que c’était impossible, donc nous l’avons fait ».
Article révisé le 13 septembre 2023, version initiale le 27 août 2020.