Comment réussir opérationnellement son projet de dématérialisation d’un service public

Le cabinet ISLEAN travaille depuis près de 10 ans à la dématérialisation de nos clients administrations ministérielles centrales et déconcentrées. Dans ce cadre, nous avions produit l’année dernière un livre blanc sur la dématérialisation comme levier de transformation interne dans les administrations publiques. Il y a un mois, nous vous avions présenté une synthèse des enjeux et de la situation de la dématérialisation des services publics. Nous vous présentons aujourd’hui les facteurs clés et points de vigilance opérationnels d’un projet de dématérialisation.

Un projet de dématérialisation touche l’intégralité de l’organisation et des collaborateurs d’une entreprise ou d’une administration. De multiples facteurs entrent donc en jeu comme les aspects techniques, fonctionnels, organisationnels et surtout humains. Chaque étape du projet, du lancement jusqu’à la généralisation, doit donc être soigneusement évaluée et dimensionnée car les effets papillons ne sont pas rares dans ces projets.

Néanmoins, de par leur ampleur, les projets de dématérialisation sont de véritables tremplins pour faire bouger des organisations car ils confrontent la réalité du terrain, des collaborateurs, des états d’esprits, des influences et des motivations.

Facteurs clés de succès pour lancer, concevoir, réaliser et piloter votre projet de dématérialisation d’un service public :

  • Mobiliser dès les premières phases d’un projet de dématérialisation, une “équipe utilisateurs” comprenant toutes les typologies de collaborateurs (mêmes les cadres dirigeants) en évaluant pour chaque profil le poids que représente le sujet pour eux. Ces utilisateurs devront être des clients motivés et intéressés par le projet.
  • Piloter le projet par les risques opérationnels (en non par les gains de productivité), en effet il est illusoire de penser que sur de la dématérialisation de processus back-office, des gains de productivité seront mesurables à court terme.
  • Avoir un sponsor très haut placé sur toute la durée du projet, c’est à dire quelqu’un qui n’est pas opérationnel sur le projet, qui veut que le projet réussisse et qui fera tout pour vous aider dans les moments difficiles 
  • Avoir le soutien des assistants/assistantes. Les assistants connaissent très bien les processus, les règles non dites, les workflows. Ils pourront vous donner une vision globale du fonctionnement et de l’organisation, et ils sont souvent les contributeurs de l’ombre sur un grand nombre de procédures de traitement en back-office. Sur votre projet de dématérialisation d’un service public vous aurez besoin d’eux / d’elles.
  • Commencer votre projet par une phase d’expérimentation. Il est indispensable de commencer petit, par des entités pilotes, ou de déployer par vagues ce qui permettra d’affiner les processus, les usages, la stratégie d’ouverture…
  • Disposer d’une organisation de support de proximité et de maintenance évolutive et efficace pour s’ajuster rapidement. Un projet de dématérialisation est un projet de conduite du changement car il modifie les pratiques quotidiennes et peut bouleverser des pans entiers de la culture de l’organisation. Le dispositif d’assistance et d’ajustement permettra de prendre les appels des utilisateurs et de mettre en place les actions de support / d’évolution du système. L’équipe support mènera également des actions terrains et rapprochées auprès des utilisateurs (des réunions de service, la mise en place d’une FAQ, l’animation régulière de réunions avec les assistants, la mise en place de « piqûres de rappel » de formation avec des sessions flash dispensées sur le terrain)
  • S’appuyer le management et les instances existantes afin d’assurer la communication et le transfert d’information bilatérales entre l’équipe projet et les utilisateurs
  • Mettre en place un dispositif d’observation et de mesure du résultat via les statistiques des tickets d’assistance, les évolutions, les indicateurs quantitatifs sur les processus dématérialisés (délais de traitement, volumes de dossiers traités…). Ces éléments ouvrent la voie à des analyses et reporting permettant de factualiser et dépassionner les débats, de remonter le ressenti sur le terrain et de poser un bilan des expérimentations

Points de vigilance de votre projet de dématérialisation d’un service public :

  • L’absence de vision globale sur un processus. Sur certains processus des étapes peuvent être difficilement conscientisés par l’équipe projet comme les processus de collaboration implicites, les fonctionnements par habitude, la logique d’archivage des dossiers, les interactions par mail, l’ancrage à l’utilisation des serveurs de fichier.  Il sera donc obligatoire de procéder par ajustement pour que le système soit vraiment adapté et efficace, en essayant de faire au mieux pour le démarrage
  • L’absence de compréhension fine du fonctionnement des multiples canaux d’entrée du traitement des dossiers. Les actions de pré-qualifications, la qualité de l’enregistrement des données, l’utilisation du RAD ou LAD Reconnaissance ou Lecture Automatique de Documents (ils ne fonctionnent pas pour tous les types de documents), la configuration des scanners ou encore les distinctions entre les boîtes courriels fonctionnelles, nominatives ou “système” devront être évalués
  • Les annuaires des collaborateurs et entités non actualisés. Le workflow des systèmes de dématérialisation repose sur les annuaires des collaborateurs et des entités de l’organisation, et les annuaires institutionnels des organisations ne sont pas régulièrement à jour. L’annuaire propre au système de dématérialisation doit donc être facilement administrable pour palier ce sujet (ou sa synchronisation avec un Annuaire (AD, LDAP, …) lui même impeccablement tenu)
  • Des modèles de documents non actualisés et des automatismes de fusion documentaire sous-performants. Les utilisateurs voient facilement une valeur ajoutée à l’utilisation de modèles de documents offerts par le système. Cependant si ceux-ci ne sont pas à jour ou certaines données ne sont pas automatiquement intégrables, l’avantage peut vite devenir un inconvénient. Il faut donc que la gestion des modèles de document soit administrable… et administrée. Au niveau des champs de fusion : soit il faut viser la frugalité voire l’abstinence, soit vous visez haut en termes de qualité et de productivité documentaire, mais en contrepartie ces champs de fusion doivent être parfaitement administrés pour être à jour et fonctionner parfaitement… Attention danger !
  • La mauvaise ergonomie du système. Les utilisateurs n’ont pas tous les mêmes critères d’appréciation (par exemple, les utilisateurs ponctuels favoriseront le caractère intuitif, les utilisateurs quotidiens la performance). Néanmoins l’ergonomie doit être globalement bonne pour toutes les typologies d’utilisateurs pour éviter de perdre des utilisateurs ou des catégories d’utilisateurs
  • L’impact de la signature qualifiée sur les processus de validation / signature. Les conditions à respecter pour la signature qualifiée sont draconiennes et technologiquement complexes. Elles font intervenir des certificats remis par des tiers de confiance eux même certifiés. Certificats qu’il faut installer sur son poste de travail. Certificats qui nécessitent un matériel (hardware) matériel qui doit être également certifié par ces mêmes organismes… Il est donc important d’évaluer et de segmenter les besoins de signature pour séparer les documents nécessitant des signatures électroniques simples (non qualifiées au sens eIDAS) de signatures électroniques (qualifiées au sens eIDAS). Attention aussi, la réglementation et les outils évoluent très rapidement sur ce sujet et il ne faut pas dédaigner l’émergence de standards de faits.
  • Les postes de travail. Bien souvent le discours des éditeurs est de dire que leur application est full Web quand la réalité est qu’elle est Full Web… à 99% et le 1% qui manque c’est malheureusement ce dont a souvent besoin un logiciel de gestion documentaire. Ayez en tête que si quelque chose ne fonctionne pas, peu importe que ce soit un problème de configuration de son poste, de son navigateur internet, de sa visionneuse pdf, de l’application de GED / GEC, … pour les utilisateurs c’est votre dispositif de gestion dématérialisée qui ne fonctionne pas. Il faut donc vérifier la configuration et le paramétrage des postes de travail car les solutions de dématérialisation ont beaucoup d’interactions avec le poste de travail, notamment pour afficher ou supporter la modification de documents sur des outils installés. Cela est en train d’évoluer rapidement car les technologies d’édition en mode Web (popularisées par le précurseur Google Documents puis ensuite par Office 365 en mode Web)  sont en train de rapidement prendre le pas… et c’est très bien comme ça !

 

Pour aller plus loin dans le sujet de la transformation du secteur public et de conduite du changement je vous conseille ces deux articles d’Eric Villesalmon :

Paul Schwebius, avec l’aide d’Eric Villesalmon