Depuis le 1er janvier, les usagers sont passés au prélèvement à la source. Présenté comme une simplification, le prélèvement à la source est une transformation forte pour le contribuable. Deuxième transformation annoncée par le gouvernement, le 100% de déclaration de l’impôt sur le revenu en ligne. Quel est le risque pour le budget de l’Etat ? Quelle faisabilité et quels paradoxes dans la possible mise en œuvre ?

Panorama de la situation

Afin de dresser un panorama de la situation, nous avons utilisé l’Open data, ce droit des citoyens à avoir accès aux données publiques, au moins à certaines données ! Nous avons donc utilisé la base de données ouvertes des impôts 2017, fournis par la DGFiP – Bureau des études statistiques en matière fiscale : https://www.impots.gouv.fr/portail/base-de-donnees-ircom-2017

L’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) représente 25% des recettes de l’Etat français

En 2017, l’Etat a annoncé 292 Milliards d’euros de recettes fiscales, provenant d’abord de la TVA, puis de l’IRPP. Ensuite viennent l’impôt sur les sociétés (IS) et les autres contributions fiscales, puis la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

Recettes fiscales annelles

Les recettes de l’impôt sur le revenu sont très concentrées

L’impôt sur le revenu en France est dit proportionnel : selon le revenu, le taux d’imposition varie (les impôts parlent de tranches).

L’impôt est doublement concentré : à la fois sur peu de foyers fiscaux, et sur certaines zones du territoire.

Nous ne questionnons pas les principes politiques ou politiques derrière cette concentration, mais regardons l’impact que cela peut avoir en termes de réalité de la dématérialisation.

Au niveau de la concentration sur certains foyers, aux deux bornes des tranches, nous avons :

  • 56% des foyers en France ne sont pas imposés sur leurs revenus (moins de 10 000 euros de revenu par an) ;
  • 2% des foyers sont imposés selon la tranche maximale (plus de 100 000 euros de revenus imposables dans le foyer). Ces 2% « rapportent » 36% des revenus nets fiscaux annuels.

Foyers fiscaux et dématérialisation

En cumulant sur les tranches disponibles, les deux tranches les plus imposées, nous avons 9% des foyers français qui contribuent à 61% aux revenus nets fiscaux annuels.

NB : il existe un décalage de présentation entre les tranches (les plus connues) qui permettent de calculer l’impôt (5 tranches en 2017) et les tranches de recouvrement utilisées pour cet article. De plus, la base de la DGFiP ne communique pas toutes les données de revenus fiscaux, notamment dans le cas de petites communes et des tranches élevées d’imposition (probablement pour éviter une identification de contribuables par recoupement de données entre la localisation et l’imposition).
Nous constatons que le fichier de la DGFiP fait également apparaître un impôt net négatif pour les trois premières tranches. L’impôt net est en effet la « somme de l’impôt sur le revenu payé ou restitué par tranche de revenu pour l’ensemble des foyers fiscaux, déduction faite des prélèvements sociaux, pour la partie correspondant à l’émission sur rôle. Ce montant ne prend pas en compte le crédit d’impôt relatif au prélèvement forfaitaire obligatoire (PFO). »

Au niveau géographique, les revenus fiscaux sont également concentrés :

  • Les 3 premiers départements (75, 92 et 78) représentent 25% des revenus fiscaux nets annuels ;
  • Les 10 premiers départements pèsent 45% de ces revenus ;
  • 58 départements représentent 20% des revenus.

« Carte de chaleur » fiscale
Plus les zones virent au rouges, plus elles sont contributrices au revenu net fiscal

carte de chaleur fiscale

La dématérialisation de l’impôt sur le revenu gagne du terrain

La DGFiP communique sur un niveau de dématérialisation progressant de façon régulière. En 2018, 60% des déclarations ont été faites en ligne.

Impots et dématérialisation - graphe 4

L’objectif est donc de faire passer 40% de plus en 2019, quand les 6 dernières années ont permis de passer de 30% à 60%.

En termes de faisabilité, on évoque souvent les zones blanches en France, c’est-à-dire les endroits où internet ne passe pas encore aussi bien que dans le quartier des affaires du centre de Paris.

La carte suivante illustre la facilité d’accès à internet sur le territoire en France, sur la base du taux de la population éligible à internet 3Mbits/s. Il s’agit du pourcentage d’habitants d’une zone pouvant demander à un opérateur de se raccorder à internet, selon ce débit minimal pour accéder à internet aujourd’hui. A titre d’illustration, le Très haut débit commence à 30 Mbits/s. En rouge, on voit apparaître les zones à risque pour se connecter à internet et pouvoir déclarer ses impôts en ligne cette année.

Territoire et accès à internet

Source : données d’accès à internet sur l’Observatoire France Très Haut débit, octobre 2018
(http://www.francethd.fr/l-observatoire/l-observatoire-france-tres-haut-debit.html).
Pour une carte mise à jour en temps réel, https://observatoire.francethd.fr/

Niveau de digitalisation de la société française

Si nous pouvons lire que 86% des français sont connectés à internet, nous ne sommes pas tous égaux malgré cela devant internet. Nous n’y avons pas tous le même accès (en termes de débit et de matériel) et nous n’en avons pas tous les mêmes usages.

L’étude CREDOC, Enquêtes sur les « Conditions de vie et les Aspirations » indique que 67% des français effectuent déjà des démarches en ligne vis-à-vis de l’administration. Avec 60% de déclaration en ligne en 2018, les déclarations d’impôts seraient donc en dessous de ce taux.

Ambition de 100% dématérialisé pour les déclarations d’impôts : réalité et paradoxes

La DGFiP détaille, dans son dossier de presse du 9 avril 2019, les bénéfices et modalités de la déclaration en ligne. Elle annonce un objectif de 100% de déclarations en ligne en 2019, avec toutefois quelques solutions particulières : si par exemple, le contribuable n’est pas équipé ou pas à l’aise, il peut se rendre dans un centre des Impôts pour se faire accompagner. La DGFiP indique avoir accueilli, en 2018, 4,9 millions d’usagers dans ses centres (source : dossier de presse 9 avril 2019). Nous n’avons pas identifié le nombre de déclarations faites en ligne lors de cet accueil pour le contribuable, qui serait une population potentiellement moins autonome en 2019 pour faire sa déclaration en ligne.

Cependant, en croisant les données sur la localisation des impôts et celles du raccordement à internet, nous avons identifié que :

  • 50% des revenus fiscaux sont dans une zone éligible à une excellente connexion à internet* (avec 37% des foyers imposés) ;
  • En ajoutant les zones de connexions très bonnes et bonnes, on arrive à 78% des revenus fiscaux pouvant émaner d’un foyer facilement raccordable à internet pour faire sa déclaration en ligne ;
  • Avec 34% des foyers fiscaux imposés dans des zones moyennement à mal raccordables, « seulement » 22% des revenus fiscaux sont à risque concernant la dématérialisation.

Niveau d'accès à internet et impots

* notre segmentation par niveau d’accès à internet est en fin d’article.

Des sites fiscaux locaux très nombreux pour accompagner la dématérialisation

La Cour des Comptes, dans son rapport de 2018 rappelle que la DGFiP a conservé l’un des réseaux d’implantation locale les plus denses au monde.

Ce réseau de l’administration fiscale française permet donc d’avoir plus d’implantations locales que dans les autres pays comparés. La Cour des comptes indique que les sites ont reçu 14,4 millions de visites de contribuables en 2016**. Cette fréquentation est saisonnière, avec des hausses de fréquentation au moment de la déclaration de l’IR et de son paiement de fin d’année.

Implantations locales DGFiP et autres administrations fiscales

Toutefois, en prenant en compte les trésoreries, la DGFiP compte 85% unités avec moins de 10 personnes, ce qui peut créer un bémol sur la réalité des conditions d’accès au public, d’autant plus que la DGFiP exerce d’autres missions (ex : comptabilité pour les collectivités locales, Douanes, etc.) qui ne permettent pas toujours d’avoir le personnel disponible ou formé à la fiscalité des particuliers et au numérique sur ses sites.

Une dématérialisation avec un budget SI qui baisse pour la DGFiP

Si les possibilités d’accueil physiques sont encourageantes – pour notre sujet d’accompagnement du public à la dématérialisation -, nous ne pouvons, en revanche, que nous étonner du constat de baisse des dépenses informatiques de la DGFiP depuis 2010*. En effet, sur cette période, le budget consacré à l’informatique baisse de 27% (contre un budget total qui baisse de 5%).

budget informatique de la DGFiP 2010 2017

Un levier de dématérialisation : l’abandon de la déclaration obligatoire

Le taux de déclaration en ligne = nombre de déclarations en ligne / nombre total de déclarations à faire

Pour faire monter un taux, on peut soit augmenter le nombre du haut (numérateur), soit baisser le nombre du bas (dénominateur).

Le gouvernement a annoncé cette semaine son intention de limiter l’obligation de déclaration (en 2020, pour les contribuables dont les revenus restent stables d’une année sur l’autre). Ainsi, l’impact sur le taux peut être immédiat, car cela diminue le dénominateur. Dans cette intervention filmée, le Ministre évoque 8 millions de foyers qui seraient sortis de l’obligation « d’acte positif de déclaration » (c’est-à-dire de déclaration).

 

Les prochains mois nous diront quel niveau d’équilibre l’administration fiscale a trouvé entre l’accompagnement des contribuables et la coercition du changement vers le numérique. Alors que le canal numérique devient très rapidement le canal de droit commun pour les impôts, quels seront les avantages ressentis pour les usagers dans cette transformation très visible de l’Etat ?

 

Notes et légendes :

Notre segmentation de l’accès internet

niveau d'accès à internet par foyers fiscaux et impots nets

Sources : ** Rapport de la Cour des Comptes « La DGFiP, dix ans après la fusion – Une transformation à accélérer – juin 2018 »