Ce mois-ci, j’ai eu l’opportunité d’échanger avec deux avocats à la cour, spécialisées dans le conseil aux sociétés dans le domaine de la santé. L’occasion de faire un état des lieux des contraintes et opportunités du cadre légal dans le secteur de l’e-santé. Rencontre avec Marguerite de Causans & Emilie Danglades-Perez, Simmons & Simmons LLP.
Le digital accentue des problématiques légales déjà existantes dans le monde de la santé
Pouvez-vous présenter votre cabinet et votre parcours ?
Simmons & Simmons est un cabinet d’avocats anglais, comptant pas loin de 1 500 avocats présents dans plus de 20 pays.
Le bureau de Paris a la particularité d’avoir développé une forte expertise dans le secteur « life sciences » depuis 15 ans et se positionne comme le bureau de référence sur ces sujets chez S&S. Nous accompagnons nos clients, entreprises pharmaceutiques françaises et internationales, startups de la e-santé (souvent déjà développées et présentant de gros investissements) sur leurs sujets légaux. Les thématiques que nous abordons sont larges, elles concernent la pratique digitale (IT), le droit public, la réglementation propre au secteur santé (regulatory), la data, le contentieux des produits de santé… finalement nous adressons un large panel des problématiques de la e-santé.
Nous intervenons particulièrement sur deux volets :
- Les applications et objets connectés au bénéfice du patient et des professionnels de santé
- La communication à adopter sur les nouveaux médias et technologies de l’information (médias, réseaux sociaux) car ce sont des sujets très réglementés.
Quelles sont les évolutions ressenties dans votre métier avec l’irruption du digital ?
Les problématiques de propriété intellectuelle et protection des données personnelles ont toujours existé mais avec le digital elles se sont davantage développées ces dernières années. Aujourd’hui les problématiques sur un produit ou service sont multi pays, en particulier avec les nouvelles réglementations européennes (comme celle sur le RGPD).
Il est primordial de sensibiliser les acteurs, dès le début des projets, afin de se poser les bonnes questions ; ce que l’on appelle « privacy by design » (penser aux données dès la conception des produits). Ceci est d’autant plus prégnant dans le secteur de la santé où la donnée est extrêmement sensible… et le restera : le numérique crée une intrusion dans l’intimité des personnes mais celles-ci sont de plus en plus soucieuses de leurs données et du traitement qu’en font les entreprises (où sont-elles stockées ? comment sont-elles sécurisées ? qui les traitent ?…). Donc les questions de sécurité seront d’autant plus prises aux sérieux par les acteurs qui manipulent ces données et vont s’aligner sur la réglementation.
Les nouvelles technologies créent des synergies de compétences entre les grands comptes du secteur de la santé et startup digitales innovantes
Comment voyez-vous l’évolution du secteur de la santé avec l’arrivée des nouvelles technologies, du numérique ?
Les nouvelles technologies permettent au secteur de la santé de rapprocher les différents acteurs qui composent cet écosystème : médecins, professionnels de santé, patients … et entre les professionnels de santé eux-mêmes avec le développement d’un grand nombre d’outils de collaboration et cohésion entre les professionnels. L’objectif de tous ces nouveaux outils reste d’améliorer le système de santé publique dans son ensemble.
Les enjeux de la santé publique sont de fournir un système de remboursement aux patients, de fédérer les acteurs de la santé autour du parcours de soin… et le numérique a toute sa place dans ce contexte. Par exemple, avec le déploiement de la télémédecine dans les déserts médicaux pour recréer du lien avec le patient isolé, les objets connectés, le monitoring à distance pour faire remonter des informations et éviter de se rendre trop de fois aux urgences ou chez le médecin…
Se pose alors la question de la place du patient dans ce nouvel écosystème et comment l’orienter dans ce parcours de soin digitalisé. L’aspect pédagogique avec le patient est primordial pour le sensibiliser, donner du sens à l’utilisation d’outils digitaux dans le cadre de sa santé.
Enfin, il faut prendre conscience que le produit de santé implique l’application de réglementations spécifiques avec les contraintes que cela implique. Les acteurs historiques du secteur de la santé sont conscients de ces contraintes, ce qui n’est pas le cas des startups récentes, plus à l’aise avec le digital qu’avec la règlementation. Ces deux mondes commencent à se rejoindre pour faire émerger de nouveaux services et valeurs issus de leurs compétences et synergies complémentaires. On observe par exemple de plus en plus de rachats de startups par de grandes sociétés pharmaceutiques.
Comment l’Etat Français aide au développement de l’e-santé selon vous ?
Nous sommes des avocats, nous ne vous dirons pas que la réglementation est trop lourde !
Plus sérieusement, ce qui est compliqué pour les entreprises qui souhaitent aller vers l’e-santé c’est de comprendre que, dans ce domaine, la complexité du système vient des particularités du secteur, et donc pas seulement de l’Etat.
Dans nos affaires, on constate souvent que les solutions développées s’inspirent de la grande consommation qui est un secteur bien moins réglementé et sont donc plus faciles à mettre en œuvre.
Nous sommes convaincues qu’il va y avoir des évolutions de la législation dans le bon sens : les exigences légales vont devoir intégrer la mise en place de solutions digitales ; ce sera cette transition qui sera compliquée à aborder. L’Etat est selon nous un acteur moteur car lorsque le produit est in fine remboursé par le système de santé publique, il est donc le financeur et fait preuve de beaucoup d’attention. De plus, l’Etat se doit de rester vigilant sur ces solutions digitales souvent encore « jeunes » et sur lesquelles il est nécessaire de prendre du recul.
Vous côtoyez des professionnels de santé dans le cadre de votre activité ; ils en pensent quoi ?
En interne, nous avons dans nos équipes un médecin et deux pharmaciens : avoir le point de vue direct des praticiens est d’une grande valeur sur ces sujets de santé ! On remarque que l’adhésion aux solutions digitales dépend fortement de la sensibilité et de l’appétence aux nouvelles technologies du professionnel de santé ou du patient. Cela vient d’un ensemble de critères : l’environnement, le profil social… contrairement aux idées reçues, il n’y a pas forcément de grandes règles tels que la discrimination « jeunes / personnes âgées ».
Notre perception est que, globalement, les personnes (patients et médecins) sont sensibles au sujet de leurs données et de ce qui en est fait mais ne sont pas forcément réticentes. On l’a remarqué par exemple avec le projet de dossier médical digitalisé (le DMP, Dossier Médical Personnel) lancé par l’Etat depuis quelques années déjà et qui nécessitera une forte adaptation des professionnels de santé pour l’utiliser.
Un mot pour conclure ?
Nous pensons que tout reste encore à créer et construire dans le domaine de l’e-santé ; l’IA et le Big Data posent de nombreuses questions et réflexions passionnantes à venir !
Dans notre métier d’avocat, la réglementation et le droit sont des garde-fous pour la sécurité des patients : pour les entreprises, se mettre dans une démarche de conformité c’est un processus long et parfois pénible mais en contrepartie cela sert à protéger les patients qui sont au cœur de leur activité !