La plupart des SI hospitaliers se bornent à reproduire les processus papier et n’apportent même pas de connectivité entre eux ou avec l’extérieur

Par le Dr Benoît Vincent, médecin et Philippe Kalousdian, Partner de ISlean consulting Santé

Résumons… : l’impact des systèmes d’information hospitalier sur la productivité et l’amélioration des organisations hospitalières est, au mieux, faible ; les systèmes d’informations hospitaliers se sont principalement attachés à numériser les organisations en place sans réellement les repenser à l’aune des potentialités des innovations technologiques. De fait, les organisations hospitalières se sont révélées particulièrement peu solubles dans des panacées informatiques, définies ex ante et finalement peu adaptables. Cohabitent ainsi au sein d’un même établissement en moyenne de 200 à 300 « solutions » (progiciels) différentes, qui forment le système d’information, et qui le plus souvent sont incapables de communiquer entre elles ou avec les « solutions » des autres établissements ou des autres professionnels de santé.

Cette situation se traduit aujourd’hui par des déploiements de solutions informatiques toujours très risqués, coûteux au-delà du raisonnable, et à l’origine d’une « valeur ajoutée » pour l’établissement, les professionnels et les personnes soignées, au mieux faible.

Si nul ne conteste la nécessité de numériser l’information médicale, si cette numérisation soulève des questions spécifiques d’ordre éthique et juridique qui peuvent la rendre plus complexe, force est de constater que les systèmes d’information hospitaliers constituent aujourd’hui une zone massive d’inefficience. Or ce constat d’évidence n’est ni à l’agenda des pouvoirs publics ou des dirigeants d’établissement, ni ne provoque réellement de changement radical de stratégie: poursuivant depuis 20 ans un sillon de dépendance unique, les déploiements des SIH au niveau d’un établissement, ou beaucoup plus récemment d’un groupe d’établissements (territoires de santé numériques, futur groupements hospitaliers de territoires) continuent semble-t-il d’emprunter imperturbablement la même séquence : choix de solutions, adaptation de la solution aux organisations en place, déploiement visant à faire migrer les utilisateurs, principalement les professionnels, vers la solution. Dès lors et malgré une réelle amélioration des solutions disponibles, le résultat risque d’être toujours le même : des déploiements extrêmement couteux, longs et aléatoires, des résultats globalement décevants, des risques d’obsolescence accrus.

Maintenant regardons les tendances récentes, lourdes et irréfragables, concernant le traitement de l’information numérisée, tous secteurs de services confondus :

  • La révolution de la collecte de l’information : internet constitue un « hub » normalisé et pouvant être sécurisé, par lequel s’effectue l’ensemble des échanges d’informations numérisées, structurées ou non structurées.
  • La révolution de l’utilisation de l’information : des moteurs de recherche de type « elastic search [1]» permettent de disposer instantanément et de façon extraordinairement pertinente d’une information particulière et circonstanciée au sein d’un ensemble informationnel non classé et de volume pratiquement illimité.
  • La révolution de l’hébergement et de la sécurisation de l’information : cloud, cloud hybride, les dispositifs d’hébergement professionnalisés sont globalement plus sûrs.

Les révolutions de la collecte de l’utilisation et de l’hébergement de l’information s’accompagnent d’un effondrement des coûts moyens mais plus encore des couts marginaux liés à chacune de ces fonctions.

Imaginons [2] désormais que ces trois « révolutions », aujourd’hui à l’œuvre au niveau de la plupart des secteurs de service, touchent les établissements de soins…

  • La totalité des informations produites par un établissement, sous quelque forme que ce soit et dans quelque champ que ce soit, est disponible de façon brute et non classée au niveau d’internet et accueillie « physiquement » au niveau d’hébergeurs sécurisés.
  • L’utilisation de ces données, principalement par les professionnels de santé, ne repose sur aucun prérequis et passe systématiquement par un moteur de recherche apprenant qui permet de proposer et d’organiser les réponses les plus appropriées à des questions dont la formulation ne dépend que de l’utilisateur. Les données peuvent être présentées sous forme prédéterminée (tableau, graphe, tableur) mais ces présentations ne sont jamais la seule modalité pour accéder aux données concernées : elles ne constituent qu’une commodité de présentation, proposée en tant que telle par le moteur de recherche.
  • L’accès aux données fait désormais l’objet d’une discussion systématique et explicite entre, d’une part les utilisateurs potentiels (professionnels de santé, établissement, autres) et d’autre part la personne, détentrice en dernier ressort de l’ensemble des données qui concerne sa santé. Certaines données stables font cependant l’objet d’une modalité d’accession non négociée réglementairement définies (par exemple certaines données médico-administratives).

Les notions de systèmes d’information, de solutions informatiques, d’interopérabilités, de schéma directeur ou d’urbanisation deviennent dès lors en grande partie obsolètes ; de même les grandes campagnes de déploiement appartiennent au passé : des nouveaux dispositifs de gestion informationnelle sont mis en place de façon agile, rapide et peu coûteuse; surtout ces dispositifs s’adaptent aux organisations soignantes en fonction et au fur et à mesure de l’usage que les organisations en font : c’est très exactement la définition de la notion de machine learning, souvent mal comprise. Plus encore et c’est sans doute là en définitive le point essentiel, en qualifiant et en analysant en temps réel les besoins et les comportements des utilisateurs, on peut espérer que ces nouveaux dispositifs de gestion informationnelle entrainent de fortes rétroactions adaptatives sur les organisations qui les utiliseront, et infléchiront ainsi significativement les façons de soigner ou de prendre soin.

Dès lors que reste-t-il du « système d’information » dans cette configuration et partant que deviennent les Directeurs des systèmes d’information (DSI) [3] ? le « système d’information » en tant que préoccupation principale cède définitivement le pas à la « régulation » des informations de santé : comment produire la bonne donnée de santé, comment moduler avec la personne l’utilisation de ses données de santé, comment transformer la donnée de santé en réponse appropriée [4] etc. La réflexion sur la donnée de santé quitte donc enfin les seuls cercles administratifs, juridiques ou technologiques pour devenir un enjeu essentiel pour l’amélioration du soin et de la santé de chacun d’entre nous. Hommes de terrain et souvent bons connaisseurs des organisations hospitalières, les DSI ont sans nul doute un rôle important à jouer pour accompagner cette mutation.

 

 

[1] L’exemple le plus frappant est le moteur de recherche Google
[2] Mais il y a fort à parier que nous ne soyons pas longtemps en position « d’imaginer », dans la mesure où il y a fort à parier que des établissements contraints économiquement, à la recherche d’une stratégie différenciante ou encore tout simplement persuadés de la nécessité de changer de modèle, basculeront rapidement vers ce nouveau modèle
[3] Cf blog Islean publié par Eric Villesalmon le 17/12/2015, « Le blues du DSI : CDO, Cloud, mobilité et usages… »
[4] Cf. les données transmises dans le cadre d’expérimentations de télésurveillance