Dans la gestion du covid, la Suède a-t-elle eu raison toute seule ?
La gestion de la crise covid 19 par les Etats anime les débats depuis plus d’un an. Les comparaisons fleurissent de toute part, les convictions se font de plus en plus fortes entre anti confinement et pro confinement, laxisme et restrictions, revues et arguments scientifiques à l’appui. En Europe, certains pays font figure d’exception par des politiques à contre-courant. C’est en particulier le cas des pays scandinaves, affichant a priori des politiques plus souples que le reste de l’Europe. Un pays en particulier a retenu notre attention (et aussi celle des médias, les articles de presse sont pléthoriques !) c’est la Suède. La politique menée par la Suède dans la gestion de la crise fait couler beaucoup d’encre : politique très (trop ?) souple au début de la crise – pas de confinement ni de fermeture des lieux public ni même d’obligation du port de masque -, seulement des recommandations mais aucune obligation, recherche de l’immunité collective, et surtout pas ou peu de changement de cap dans sa stratégie depuis mars 2020 !
Nous avons donc voulu nous faire notre propre opinion à cette question : la Suède a-t-elle eu raison toute seule ? Et pour cela, nous avons ressorti notre boîte à outils statistiques Green Belt.
De l’importance du choix des données
Tout d’abord nous avons dû faire des choix sur les données à rechercher et exploiter. Notre travail s’est déroulé sur quelques jours et à temps contraint, il a donc fallu décider de partis pris.
#1 Choix de l’échantillon d’observation
Nous avons choisi de ne regarder que les pays « semblables » à la Suède ; par souci de simplification et contrainte de temps. Nous nous sommes donc focalisés sur les pays d’Europe. Cela nous a aussi permis d’éviter tout biais de saisonnalité entre les hémisphères sud et nord. Cette approche nous a permis aussi de collecter plus facilement des données homogènes sur les pays, en particulier grâce aux bases de données de la Commission Européenne.
Nous voyons déjà une limite à notre modèle, l’échantillon statistique reste limité !
#2 Choix des critères de « réussite »
Selon nous, la réussite d’une politique d’un pays dans la gestion de la pandémie doit être multicritères et ne pas se contenter d’évaluer le nombre de cas / décès (en volume ou par milliers d’habitants).
Nous avons donc choisi d’observer trois catégories d’indicateurs :
- les indicateurs sanitaires bien évidemment : taux de contamination/positivité, excès de mortalité par rapport à l’historique, nombre de décès ;
- les indicateurs économiques : tout un tas d’indices économiques calculés par l’OCDE, la Commission Européenne ou le FMI en tête e pont et qui donnent des éléments de compréhension et de mesure de la santé économique des pays… comme par exemple : l’indice de confiance des consommateurs, l’indice de confiance des entreprises, les estimations de croissance, l’inflation, l’indice de sentiment économique, la dette, les prévisions de taux de chômage, etc.
- les indicateurs sociaux : nous aurions pu prendre le taux de divorce/mariage, le taux de suicide, le taux d’accroissement des inégalités de pouvoir d’achat ou de pauvreté, par exemple. Par souci de simplification, nous avons choisi le Bonheur National Brut, un indicateur composite permettant de mesurer le bien-être d’une population.
#3 Choix de l’indicateur de mesure des politiques : l’indice de restriction
Quant à l’indicateur de mesure des politiques menées par les états, nous avons suivi la mouvance actuelle et pris l’indicateur calculé par l’université d’Oxford comme le font la plupart des sites de données sur le covid-19. Étonnamment, nous n’avons pas trouvé d’autres sources de données sur les mesures prises par les gouvernements.
Nous avons choisi pour nos analyses d’utiliser l’indice Containment and Health Index (documentation de l’indice agrégé ici et documentation des indicateurs unitaires là) car cet indicateur :
- tient compte des mesures de restriction de la circulation (exemple : fermeture des écoles, limitations des rassemblements)
- et de quelques mesures sanitaires (exemples : politique de contact tracing, port du masque)
- mais sans tenir compte des mesures de soutien à l’économie
Enfin, nous avons décidé de regarder la moyenne de nos variables sur l’ensemble de l’année correspondant à l’épidémie (mars 2020 à mars 2021).
Une fois les variables choisies, les bases de données téléchargées, nettoyées, formatées, nous pouvons commencer l’analyse.
La Suède a-t-elle vraiment fait cavalier seul au sein de l’Europe ?
Effectivement, il ne faut pas croire tout ce qu’on lit dans les médias… La première question à laquelle nous avons souhaité répondre était de savoir si la Suède avait réellement eu une politique à contre-courant des autres pays Européens.
Nous avons donc comparé les indices de restriction des pays européens et il se trouve que la Suède ne fait pas partie du Top 3 des pays les moins restrictifs ! La Suède se trouve en 6ème position sur les 27 pays de l’Union Européenne avec un indice de restriction de 52,8 à 13 points du pays le moins restrictif ; à titre de comparaison, la France possède un indice de restriction moyen de 63,80. Le « podium » se compose de l’Estonie (indice à 39,8), la Finlande (indice à 41,5) et la Bulgarie (indice à 48,7).
Ce que nous avons remarqué (et cela a été bien relayé par les médias), c’est la quasi invariance de la stratégie de la Suède depuis le début de la crise; cela se voit avec un écart-type très faible de l’indice de restriction sur l’année écoulée. L’écart-type varie entre 5 et 15 points environ pour l’ensemble des 27 pays, celui de la Suède est de 5,4 points, la positionnant en 2ème place des pays les plus stables dans leur politique (derrière la Belgique avec 5,3 points et avant la Lettonie avec 5,7 points d’écart-type).
Les politiques de restriction des différents pays européens sont somme toute assez proches, variant de 40 à 68 points environ, avec un écart-type faible de 7 points.
Quels sont les impacts des mesures prises par les États sur les résultats sanitaires, économiques et sociaux ?
C’est l’étonnement principal de notre analyse, nous n’avons pas trouvé de corrélation statistiquement représentative entre les politiques de restriction et les variables sanitaires, économiques et sociales.
La seule variable de notre analyse qui semble corrélée aux politiques de restriction est la prévision de la dette 2020 (calculée par le FMI) : plus la politique est dure, plus la dette est importante.
Nous avons voulu comparer les résultats sanitaires et économiques entre les Etats membres. Ce que nous en déduisons, c’est que la Suède n’a pas de si bons résultats sanitaires que ce qui a pu être relaté dans certains articles de presse. En effet, en regardant par exemple, l’évolution du taux de positivité au cours de la période passée (nb : les variables sanitaires sont bien corrélées entre elles ; le taux de positivité est positivement corrélé à l’excès de mortalité), on remarque que la Suède ne se positionne pas dans les meilleurs élèves. Avec un taux de 8% en moyenne sur la période passée, la Suède n’est pas loin de l’Italie avec 9% et reste derrière la France avec 6% ou la Finlande avec 2% ! En termes d’excès de mortalité, on note que la Suède a de bien moins bons résultats que son voisin nordique : la Suède présente 10% d’excès de mortalité pour seulement 1% d’excès de mortalité en Finlande.
En ce qui concerne les résultats économiques, notre analyse nous permet de confirmer que la Suède est un acteur économique performant, et ceci depuis près de 20 ans. L’évolution de la croissance du PIB entre 2002 et 2020 montre que la Suède possède une croissance stable et que celle-ci a moins « subi » la crise covid, par rapport à d’autres pays comme la France ou l’Italie : décroissance de moins 3 points contre près de 10 points pour les pays latins. Ce qu’on remarque aussi, c’est que la Finlande tire son épingle du jeu en restant au coude à coude avec la Suède.
Finalement, au vu de ces résultats sanitaires et économiques, ne devrait-on pas plutôt se pencher sérieusement sur le cas de la Finlande ? D’autant plus que la Finlande reste en 2020 le pays d’Europe (et du monde aussi !) le plus heureux, et ceci depuis 4 années consécutives.
Merci, Flavie, pour cette passionnante analyse !
Bien à toi,
Philippe
Il aurait été plus convaincant de compléter par un sondage auprès de la pop suédoise du moment où c’est d’une démocratie particulière par rapport au reste des pays témoins autres que scandinaves..
Bravo surtout sur l indice des restrictions, et bravo aux deux pays qui sont au podium