Cofondateur de Google, président en charge des produits, Larry Page répond aux questions du Monde sur la stratégie du géant américain de l’Internet, ses relations difficiles avec les éditeurs et la protection des données personnelles. Propos recueillis par Alain Beuve-Mery, Cécile Ducourtieux, Nathaniel Herzberg, Damien Leloup et Sylvie Kauffmann.

Morceaux choisis de cette interview :

Google a lancé, jeudi 20 mai, Google TV, un système pour connecter son téléviseur au Web, avec Intel, Sony et Logitech. Dans quel but ?

Les gens n’accèdent pas encore au Web depuis leur téléviseur. Internet n’a pas été conçu pour ça, mais ce serait bien que YouTube [propriété du groupe] soit accessible sur cet écran, que l’on puisse y consulter ses courriels. Les gens ont un grand écran, qu’ils ont acheté cher, qui prend de la place, ils aimeraient qu’il sache faire le plus de choses possible !

A la fin des années 1990, Google n’était qu’un moteur de recherche. L’entreprise propose désormais une multitude d’autres services. Vous commercialisez même un téléphone. Pourquoi se diversifier autant ?

C’est tout simple : nous voulons gagner encore plus d’argent ! Avec notre moteur de recherche, nous avons réussi à créer l’équivalent d’une brosse à dent, un outil qui a pris une place importante dans nos vies. Même chose avec GMail [la messagerie de Google], pour le courriel. Tous les produits que nous lançons devraient être comme ça. Voilà notre raisonnement : de quoi les gens ont vraiment besoin, qu’est-ce qui a de la valeur pour eux ? Il y a un autre aspect : quand les entreprises grossissent, souvent elles ne cherchent pas à changer de métier, et emploient des milliers de salariés à faire la même chose. Ce n’est pas forcément très fructueux.

Google Docs [logiciel de bureautique accessible gratuitement depuis un navigateur web] devait faire beaucoup de dommages à un des produits phares de Microsoft, Office, mais il n’a pas non plus eu tant de succès. Pourquoi ?

Je suis plutôt satisfait de ce produit. Notre but n’était pas de tuer Office de Microsoft, mais de proposer 80 % des besoins basiques des utilisateurs, avec un produit plus rapide, plus simple. C’est exactement le contraire de la stratégie de Microsoft, qui passe son temps à rajouter des fonctionnalités à Office, mais que très peu de personnes utilisent vraiment. Nous avons beaucoup de succès dans les entreprises, et presque 100 % des salariés de Google utilisent Google Docs en interne. Certes il y a encore une cinquantaine de salariés en interne qui utilisent absolument toutes les fonctionnalités possibles du logiciel Excel, de Microsoft. Eux, je n’arriverai pas à les convaincre, et d’ailleurs, ce n’est pas mon but !

Ne pensez vous pas que Chrome OS, votre système d’exploitation pour PC, va arriver trop tard sur le marché ? Les constructeurs annoncent en effet de plus en plus de terminaux équipés d’Android : systèmes embarqués dans les voitures, tablettes, etc.

Nous nous sommes posé beaucoup de questions en interne. Je pense quand même que les deux systèmes d’exploitation, Chrome OS et Android, sont destines à deux usages ou deux types de terminaux différents. Android a été conçu pour les téléphones tactiles, peu consommateurs en énergie. Les contraintes matérielles pour un ordinateur restent différentes, et Chrome OS pertinent. Vous avez des machines munies d’un processeur de téléphone, qui consomment relativement peu d’énergie, et peuvent tourner sous Android, et d’autres, avec un processeur de PC, qui auront besoin de Chrome OS, qui est optimisé pour ce genre de machines. Eventuellement, nous aimerions qu’ils fusionnent, que n’importe quel système d’exploitation puisse fonctionner sur n’importe quelle machine, mais nous n’y sommes pas encore.

Certains de vos concurrents viennent de lancer des tablettes numériques. Quelle vision vous avez de ce marché ?

Pour moi, à ce stade, les tablettes sont des gros téléphones. Elles ont le même type de processeurs, d’interface tactile. Mais je pense que nous allons aussi assister à l’apparition d’une multitude de terminaux différents, dont beaucoup fonctionneront à partir d’Android, avec des écrans de toutes les tailles.

Quelle est votre opinion sur la protection des données privées ?

Les sociétés évoluent, les gens communiquent de plus en plus en ligne. Les frontières de la vie privée bougent. Pour nous, parfois, c’est un peu compliqué. Il y a beaucoup d’attention portée notamment sur la durée de détention des données de connexion. A côté de cela, les gens mettent de plus en plus de données personnelles en ligne : des photos d’eux ivres, etc. Conserver les données peut avoir une très grande valeur : voyez le service de suivi de la grippe A que nous avons mis en ligne il y a quelques mois. Nous avons fait économiser beaucoup d’argent aux agences américaines, grâce aux données de connexion des internautes.

Il n’y a pas si longtemps, Google passait pour sympathique. Aujourd’hui, vous êtes perçus comme une menace. En êtes-vous conscients ?

Oui, nous en sommes très conscients et si vous avez des solutions à nous proposer, n’hésitez pas ! Je crois que nous devons être plus présents en France, avoir davantage de monde ici. Nous grossissons, on nous réclame de l’argent, on parle de nous tout le temps. Nous jouons un rôle de plus en plus important dans la vie des gens, cela suscite des interrogations, c’est normal. Mais si nous continuons à faire de notre mieux, nous surmonterons ces difficultés. Cela va dépendre de la manière dont les individus pourront contrôler nos services en ligne. C’est aussi une question de produits. Et là, nous pouvons faire mieux.

Quel est le principal défi que vous devez relever aujourd’hui, chez Google ?

Mon challenge n’a pas changé ces dernières années, il s’agit d’accompagner la croissance de la société, de faire en sorte qu’elle continue à bien fonctionner, que nous restions bien organisés, que les salariés restent motivés. Et continuer à la faire grossir : nous avons embauché environ 800 personnes au niveau mondial lors du précédent trimestre [1er semestre 2010]. Google compte aujourd’hui plus de 20 000 salariés.


sourcehttp://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/05/21/larry-page-president-de-google-notre-ambition-est-d-organiser-toute-l-information-du-monde-pas-juste-une-partie_1361024_651865.html