En 2015, le gouvernement Hollande s’engageait à travers son plan numérique à un investissement d’1 milliard € sur 3 ans (2015-2017) pour l’insertion numérique des élèves de primaire, collège et lycée : la digitalisation comme vecteur de réduction des inégalités sociales. Le 9 juillet 2019, la Cour des comptes diffusait sur la plateforme data.gouv.fr des informations toutes « fraîches » concernant les investissements dans le numérique pour nos établissements scolaires, l’occasion de faire un bilan depuis la loi de refondation de l’école de la République de 2013.
Investissements dans le numérique à l’école : où en est-on, pour quels résultats ?
Fers à souder et crises de nerfs professorales
Quelques souvenirs du collège et du lycée que, je n’en doute pas, la plupart de nos lecteurs nés dans les années 90 partageront avec moi :
- La guerre de nos professeurs contre Wikipedia (peut-être est-elle toujours d’actualité ?), parfois contre l’internet tout entier, pour nos devoirs maison.
- Les travaux pratiques de technologie où le taux d’équipement de fers à souder par élèves était 10 fois supérieur à celui des postes PC.
- L’introduction des « tableaux numériques » dans nos classes qui, sans avoir réellement inquiété nos professeurs les plus attachés à la tradition du tableau noir et de la craie, aura pourtant traumatisé les plus volontaires d’entre eux, tous désœuvrés qu’ils étaient face à ces surfaces muettes qui, malgré toute leur bonne volonté à les faire fonctionner, restaient désespérément blanches, tandis que leur auditoire cruel gloussait crescendo à mesure que l’échec devenait évident.
- N’hésitez pas à compléter la liste en commentaires !
Tout ça pour dire que ce que j’ai appris sur le numérique, je ne l’ai pas appris à l’école et cela notamment car j’ai eu la chance d’avoir chez moi et relativement tôt (en cinquième) un PC connecté à internet. En quatrième mes parents m’achetaient un téléphone dont on pourrait presque dire qu’il était smart. A 12 ans et comme de nombreux enfants, je commençais donc en autodidacte ma datalphabétisation et l’éducation nationale n’y était pas pour grand chose.
Un milliard de budget plus loin, une déception pour la Cour
Bien évidemment, ce que je vous décris, l’EN (Education Nationale) l’a compris et a pris des résolutions qui se traduisent d’abord dans la loi de refondation de l’école de la République de juillet 2013, puis dans sa concrétisation sur l’aspect numérique avec le plan numérique pour l’école de 2015 avec 1 milliard € de budget alloué sur 3 ans. Les objectifs sont alors multiples et ambitieux : utiliser au mieux les outils du numérique pour enrichir et améliorer la performance de l’enseignement, réduire les inégalités sociales en inculquant une connaissance des outils du numérique et en offrant un accès à la connaissance via ces outils (internet, LMS), équiper 100% des élèves et professeurs de tablettes ou de PC dans les collèges et écoles concernés par le plan numérique (2766 en tout), etc. 4 ans plus tard, l’heure est à la rétrospective et point de vue investissement les dépassements de budget, sans être surprenants, sont à la hauteur de l’ambition originelle :
Source : Rapport de la Cour des comptes 2019 (disponible sur data.gouv)
Malgré ces efforts, la Cour des comptes déplore « un bilan [de la mise en oeuvre du plan numérique à l’école] décevant« .
Deux territoires, deux mesures
Le premier constat d’échec réside dans les inégalités d’équipements qui subsistent entre territoires, voire entre établissements d’un même territoire ; pour cause et à titre d’exemple, « seuls » 49% des collèges ont bénéficié du plan numérique jusqu’aujourd’hui. D’ailleurs les résultats de ces investissements à l’échelle des départements révèlent bien un échec à réduire les inégalités :
En 2019, 94% des 12-17 ans possèdent au moins un PC avec une connexion internet à la maison (Rapport de la Cour des comptes 2019 sur le service numérique). L’EN a donc encore du retard à rattraper sur ses élèves, et ça aussi elle l’a compris : en 2018 elle mettait à la disposition des établissements scolaires un guide des projets pédagogiques s’appuyant sur le BYOD/AVEC partant du constat que la majorité des élèves sont déjà équipés. En 2019, l’EN continue sa lancée à travers un appel à projets dans les collèges pour « expérimenter » des projets BYOD/AVEC dans le cadre du programme d’investissement d’avenir (PIA). Un budget de 25 millions € est prévu pour la réalisation de ces expérimentations en établissements. Cet appel à projet se clôturait en juin 2019, espérons que ce programme permettra de passer le pas de l’AVEC à l’école ; en attendant, je vous encourage à lire notre étude sur le BYOD dans les entreprises en France pour en apprendre plus sur cette pratique.
Pas d’infra, pas de chocolat
Une autre limite rencontrée dans la mise en oeuvre du plan numérique à l’école est celle des infrastructures pré-existantes sur lesquelles poser un socle numérique pour les élèves et les professeurs.
La Cour des comptes parle ici d’un problème persistant de « connectivité des établissements » et on peut imaginer l’ampleur des efforts à déployer pour poser des infrastructures assurant cette connectivité, notamment dans les déserts numériques. On peut tout de même être surpris par le choix des départements prioritaires pour l’investissement dans l’équipement étant donné que la plupart présente un niveau d’accès à au haut débit inférieur à 10% des locaux présents dans le département (source : l’observatoire France très haut débit, données sur 2017) :
Un taux d’équipement important n’est qu’esthétique s’il est impossible de connecter les devices au réseau… Pas d’infra pas de chocolat.
Par ailleurs, la Cour des comptes recommande une concentration des efforts pour doter les établissements français d’un socle numérique de base. Un an après la concentration sur les enseignements fondamentaux de M. Blanquer (lire, écrire, compter, respecter autrui), le cap de l’école numérique semble s’aligner à travers cette notion de socle numérique fondamental ; et je ne crois pas que cette comparaison ne soit qu’une vue de l’esprit car ces deux retours aux fondamentaux ont au moins ceci en commun d’être le fruit de constats d’échecs.
Concluons
Sommes-nous pour autant embarqués pour de bon dans une spirale d’échecs ? ; sommes-nous limités à en revenir indéfiniment aux « fondamentaux » ? Relativisons ! Des solutions pour limiter les coûts, dynamiser le système éducatif, et réduire les inégalités sont déjà à notre disposition (Cloud, contenus gratuits et pertinents dans le contexte éducatif comme sur Wikipedia, Youtube, BYOD/AVEC …) et l’Education Nationale a commencé à s’intéresser à une partie d’entre elles.