Alors qu’un projet de règlement européen envisage de créer un droit à l’oubli numérique, Alain Sizey alerte sur le risque que ferait porter ce type de règlement sur un des principes fondamentaux de notre pays : la liberté d’expression. Il développe son propos sur Le cercle les échos.
Comme l’indique la CNIL, il s’agit ni plus ni moins que « d’un moment historique dont il faut prendre la mesure, car il dessinera le nouveau paysage de la protection des données du XXIe siècle en Europe ».
À première vue, les chantres de la liberté pourraient se sentir soulagés par un tel projet. (…) Quoi de plus sensé que de pouvoir contrôler son image sur internet, qui compile et cumule sans vergogne données après données ? Pourtant, l’évidence, drapée dans quelques bons sentiments, cache parfois certains dangers.
On peut d’abord contester le fait que les données personnelles constituent un bien appartenant à la personne concernée, et sur lequel elle pourrait exercer un contrôle. En effet, à partir du moment où des déclarations, voire des images sont rendues publiques sur la toile par la personne elle-même, en toute connaissance de cause, et quel qu’en soit le sujet, il semble logique de considérer qu’elles ne lui appartiennent plus. D’ailleurs, personne ne le conteste pour le papier : nos bibliothèques et archives recèlent de toutes sortes d’informations publiques, émises par des particuliers illustres ou inconnus à un moment donné. (…)
Par ailleurs, qu’en est-il des données nous concernant et qui seraient communiquées par d’autres ? En effet, le projet de règlement envisage le droit pour une personne de contrôler les propos tenus par des tiers à son sujet. Il s’agit alors d’une atteinte directe à la liberté d’expression. Rappelons qu’à ce jour, les deux limites majeures à la liberté d’expression sont la diffamation et le respect de la vie privée (…). Or dans ce projet européen, l’internaute pourra exiger l’effacement de données le concernant à tout moment et de manière discrétionnaire. Il appartiendra au responsable de leur traitement d’établir l’existence « de raisons impérieuses et légitimes justifiant le traitement » pour pouvoir les maintenir.
La logique est ainsi renversée, et la liberté d’expression devient une option là où elle était un principe qui ne pouvait être limité que par des atteintes objectives à la personne. Ceci devrait interroger tout juriste attaché à la hiérarchie des normes : pour rappel, la CEDH pose la liberté d’expression comme un principe, à charge pour celui qui veut la restreindre de démontrer cette nécessité sur la base de droits reconnus. (…)
En un mot, le droit à l’oubli numérique ne devrait être un droit reconnu que s’il revêt un caractère d’exception, légitimé par la protection d’un autre droit encadré soit par la loi, soit par la jurisprudence. À défaut, le cadre européen, d’application directe dans les États membres, impliquerait un glissement démocratique non négligeable sous couvert de progrès pour les droits de l’individu. (…)
Or, il nous semble que le progrès technologique, et ses conséquences en terme de multiplicité des sources d’informations ne devrait pas servir de prétexte pour dessiner une société où l’opacité se verrait érigée comme principe (…)
intéressant renversement. Le droit de gérer son image et d’effacer des choses qui pourraient porter tort comme attente à la liberté d’expression.
Original, compréhensible. Peut-être marginal : la liberté d’expression concerne-t-elle souvent des données personnelles d’autrui ?
Le droit à l’oubli autorise-t-il quelqu’un à faire effacer un article de journal parlant de lui.
ça me paraît tiré par les cheveux. Mais si c’est le cas, c’est effectivement une atteinte à la liberté d’expression.