Réalisant depuis quelques semaines une mission miroir d’une autre réalisée il y a 10 ans, je constate, non sans un certain effroi, l’incroyable productivité permise par le travail en visioconférence, ainsi que l’économie en déplacements physiques.
« It’s a revolution »
Je vais encore passer pour un benêt, béat, émerveillé par les technologies et les progrès qu’elles nous permettent de faire. Mais je n’y résiste pas. Depuis qu’en 2018 nous avons commencé à utiliser Google Meet (mais aussi Teams ou Zoom) pour nous économiser des vols Paris-Nice ou Paris-Los Angeles pour des réunions de quelques heures sur une journée, nous avons approfondi et ajusté notre utilisation des visio conférences.
Je réalise une mission très similaire à une autre il y a dix ans : 30 à 40 entretiens, très politiques, aux quatre coins de la région parisienne, pour 1h à 2h chacun, avec, et c’est là que la révolution commence, parfois 4 à 5 entretiens par jour. Ce qui n’était, sauf prouesses d’organisation ou de sacrifices, impossible il y a 10 ans.
Plusieurs leviers sont à l’oeuvre, certains évidents, d’autres plus subtils !
Les transports évités : du temps et de l’énergie !
Le premier levier et le plus évident est l’économie en transport, et le gain de temps associé. Plus besoin :
1- d’aller de chez soi ou de ses bureaux à un lieu de rdv ; 1er gain
2- d’aller d’un rdv 1 à un rdv 2 à un lieu différent ; 2ème gain. Cela vous permet, si vous êtes rusé comme un sioux, de ménager une pause de 10 minutes, café, yoga
3- etc jusqu’au dernier rdv
Je me déplace depuis 20 ans en moto à Paris. Même si c’est le plus rapide, c’est quand même du temps perdu, de l’attention élevée, de l’essence, de l’entretien… et une empreinte carbone bien plus élevée qu’une visio !

Time is money!
Une organisation plus simple et plus rapide d’entretiens
Organiser un rendez-vous en face à face, cela nécessite de trouver une disponibilité commune entre deux agenda.
Déjà le passage en visio pour une bilatérale est facilité parce que plus besoin d’imposer à une des deux partie de se déplacer.
Quand il est nécessaire de se rencontrer à plusieurs personnes en même temps, le gain est encore plus grand. Si tous les invités doivent se déplacer sauf un hôte, vers un même lieu, cela augmente la difficulté pour trouver une disponibilité commune. En visio, pas de déplacements, il est bien plus simple de trouver un moment commun entre n personnes souhaitant se rencontrer, chacune étant sur un lieu de travail d’où elle n’a plus besoin de bouger.
Des réunions pas forcément moins riches qu’en présence
Avoir un support de type slides ou Jamboard permet de reformuler des concepts ou de formaliser des actions et décisions pour que tout le monde puisse les lire. Il y a des outils encore plus évolués, de dessin, de sondages, d’animation. Le fait d’être en présence est parfois pas mieux qu’à distance avec ces outils.
Tout cela étant dit, il reste des irritants aux visio, voire des cas où c’est tout à fait inadapté.
Le jour le plus long
Attention au travers « agenda Tetris ». On empile les visio comme des briques, les unes sur les autres. Grave erreur, à plusieurs titres :
1- on n’a plus le temps de souffler/boire/aller aux toilettes.
2- on n’a plus le temps de digérer ce qui vient de se passer, d’envoyer un CR rapide ou de prendre une action immédiate
3- on n’a plus de pensée flottante, permettant à la magie du cerveau de connecter des lointains et d’établir des percées conceptuelles majeures
4- on n’a plus le temps de répondre à ses mails qui continuent à tomber à 300 / jour
5- on n’a plus le temps de produire, par exemple des articles de blog 🙂
Conserver des vides dans l’agenda, par exemple 10 minutes entre deux réunions, limiter les visios à 45 minutes ; sanctuariser des demi-journées voire des journées entières.
« are you talking to me? »
Eh bien en fait on ne sait pas trop. Comme je le déplorais dans un billet de blog de mai 2020, les caméra des ordinateurs et smartphones restent dans les coins de l’écran, il y a donc encore et toujours une parallaxe entre les yeux de l’interlocuteur au centre de l’écran ou la camera dans le dit coin. Il faut choisir : soit on regarde la camera pour que notre interlocuteur voie nos yeux, mais on ne voit plus les siens. Soit on regarde son interlocuteur, mais lui a l’impression qu’on regarde ailleurs.

Are you talking to me?
« Who the f… do you think you are talking to? »
Ahh, les conflits ! Que moult gens pensent tranquillement pouvoir gérer depuis une visio, voire des mails. La guerre propre, chirurgicale, aseptisée.
Quelle erreur ! Non seulement on ne gère pas bien les conflits en visio, mais parfois on les envenime. La présence physique a une vertu considérable, comparable à celle qui calme les vociférations d’un automobiliste confortablement enfermé dans la bulle de sa voiture. Dès que la porte est ouverte, le ton baisse, en général.
Préférez la présence pour gérer des conflits, le fait d’être à portée de baffe main est un puissant modérateur.
« Et la tendresse, bordel ? »
A l’autre opposé du spectre, il y a la séduction, la conviction, l’ethos (=l’incarnation), composante majeure de la réthorique avec le logos (= le discours), et le pathos (= l’émotion). Jusque là, la visio aplatit, affadit, refroidit tout cela. Là aussi, pauvres animaux que nous sommes, perdons une capacité majeure que le langage a amenuisée en nous mais qui reste un vecteur puissant de sens : le non verbal, la présence, le corporel, la physionomie.
Donc ?
La visio c’est un progrès fantastique. +30 % de capacité à interagir en plus, des quantités de passagers x kilomètres évitées, avec l’empreinte carbone qui va avec, qu’il sera très intéressant de mesurer un de ces jours.
Mais ce n’est pas la panacée. Il faut garder des contacts humains pour les moments clés : séduction, conviction, créativité, négociation, conflit.
« Bon. Je vous laisse, j’ai un meet qui a démarré depuis 2′. »
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