Ou comment le régime chinois, grâce aux caméras, aux algorithmes et aux bases de données, renforce le contrôle de la criminalité…et des opposants politiques.
La Chine enchaîne numériquement sa population
Les technologies sont amorales. Il appartient à l’humanité d’en faire bon ou mauvais usage. Prenons l’exemple des réseaux sociaux : s’ils ont facilité le déroulement des événements que l’on a qualifiés de « printemps arabes », en permettant aux manifestants de se réunir, ils ont également, il n’est plus permis d’en douter, servi d’instrument au pouvoir politique russe pour orienter les résultats de la dernière élection présidentielle américaine.
Le régime chinois, aussi populaire que la RDA était démocratique, n’a lui pas l’intention de laisser sa population faire sa révolution. Pour protéger son pouvoir, il s’appuie sur les technologies numériques. Deux dispositifs de contrôle de la population, expérimentés depuis quelques années, attirent l’attention : un système étendu de vidéosurveillance couplé à un logiciel de reconnaissance faciale et un dispositif de crédit social permettant de punir les « mauvais citoyens » en leur restreignant l’accès à certains services.
Souriez, vous êtes filmés !
Dans certaines villes chinoises, l’anonymat n’existe plus. Des centaines de caméras filment les rues, caméras dont les images sont analysées en temps réel par un logiciel de reconnaissance faciale qui s’appuie sur une base de données gigantesque : les photos des pièces d’identité.
Le régime chinois utilise ce dispositif pour repérer des individus recherchés. Des exemples récents d’arrestations dans des stades, des gares ou d’autres lieux publics ont démontré l’efficacité du système. C’est la fin des faux-papiers !
Pour démontrer l’efficacité du système, un journaliste de la BBC a tenté l’expérience (avec le concours des autorités), en enregistrant son profil dans une base de données de personnes recherchées. Il aura fallu moins de 7 minutes pour qu’il soit repéré par une caméra et interpellé.
Certains agents de police chinois sont également équipés de lunettes équipées du même logiciel de reconnaissance, ce qui leur permet d’identifier en temps réel une personne recherchée lors de leurs patrouilles.
Pourquoi pas ? Le dispositif va faciliter la lutte contre la criminalité.
Sauf qu’en Chine la liste des personnes recherchées peut également servir à repérer des opposants politiques ou des activistes des droits de l’homme.
Soyez polis
L’excellente série télévisée britannique Black Mirror imagine les conséquences néfastes d’un excès de technologie dans une société. Dans l’épisode Nosedive, chaque citoyen dispose d’une note (comme les chauffeurs de VTC) modifiée à chacune de ses interactions avec d’autres citoyens. Dans cette société, si vous êtes bien noté, vous avez accès à tout. Si votre note baisse, l’accès à certains services publics ou privés vous est progressivement restreint (billets d’avion, achat de logements, accès aux complexes touristiques ou à une école pour vos enfants…). Dans le même temps, vous devenez persona non grata auprès de vos anciens amis qui ne peuvent plus se permettre, socialement, de vous fréquenter.
La Chine est en train de mettre en place un tel système.
Plusieurs exemples sont relayés par la presse occidentale et des associations comme Human Rights Watch : les noms d’avocats et de journalistes chinois ont été, sur décision de justice, « blacklistés » dans plusieurs bases de données (opérateurs aériens et ferroviaires, banques) ce qui les a empêchés d’acheter des billets ou d’obtenir une carte de crédit.
Pourquoi pas ? Ces sanctions ne sont pas moins valables que des sanctions financières ou des peines de prison.
Le hic, ce sont l’arbitraire des décisions de justice et le manque d’information des justiciables (qui n’étaient pas toujours informés de leur condamnation).
Un exemple à ne pas suivre
La Chine nous offre ici une expérience grandeur nature de contrôle des citoyens grâce au numérique. S’il est illusoire d’espérer changer la donne là-bas, la mise en place de ces technologies et l’usage qui en est fait doit constituer une alerte pour nos démocraties.
Les outils utilisés par le régime chinois pourraient, à des fins sécuritaires et avec les meilleures volontés du monde, être mis en place en France ou en Europe. Il s’agira alors d’exercer une vigilance toute particulière pour que leur usage ne vienne pas mettre à risque les libertés fondamentales des citoyens, qui constituent le socle de nos démocraties.