Rencontre avec Charlotte Lajoux co-fondatrice de Merci Docteur, la startup qui lutte contre les déserts médicaux. 

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Le pitch : « Un médecin pour tous, partout en France »

A quel enjeu répondez-vous avec MerciDocteur ?

Le concept de MerciDocteur est de proposer un service de conciergerie de cabinet médical secondaire ; autrement dit, nous mettons à disposition des populations résidant dans des déserts médicaux des médecins des villes avoisinantes. Il y a d’une part des médecins volontaires pour exercer de façon temporaire dans ces déserts médicaux mais qui ne veulent pas s’occuper des tâches administratives, de la logistique, de la gestion des consommables… et d’autre part les mairies de ces déserts médicaux qui ont besoin de médecins mais n’offrent pas la population suffisante pour un médecin à temps-plein (l’enjeu est de taille quand on sait que 70% des collectivités territoriales comportent 500 à 2 000 habitants !). Nous faisons donc le lien entre ces deux parties afin de donner accès au soin à tous sur tout le territoire français.

Concrètement, nous mettons à disposition des patients une plateforme pour prendre des rendez-vous en ligne en fonction des jours de disponibilité proposés par les médecins et un module à destination des collectivités pour qu’elles mettent à jour leur besoin en médecins.

Les médecins donnent une visibilité de planning sur trois mois afin d’avoir le temps de communiquer aux patients via les acteurs locaux : les pharmacies, les affichages en mairies…

 

Mais au fait, un désert médical qu’est-ce que c’est ?

Il existe beaucoup de définitions proposées par les institutions comme l’ordre des médecins ou le gouvernement, basées sur des ratios de nombres de médecins par habitants… mais cela ne nous semble pas satisfaisant !

Nous croisons plusieurs facteurs tels que le nombre de médecins par habitant mais aussi un facteur de distance géographique (ex. présence d’un centre de santé à quelques kilomètres d’une commune où il n’y a pas de médecin) et la notion de besoin (ex. population mobile ou non, entraide sociale forte, précarité, lien social rompu… Pour évaluer ce 3ème paramètre nous nous appuyons sur les partenaires et institutions ayant une bonne connaissance du territoire comme les agences régionale de santé, les syndicats de médecins…

Ainsi, un désert médical est selon nous une zone où l’un des facteurs suivants est présent (sans exhaustivité de la liste) :

  • Il n’y a pas de docteurs dans un périmètre de 20-30 minutes en voitures,
  • Les médecins présents ne prennent plus de nouveaux patients
  • L’accessibilité au soin est difficile (ex. raz campagne, montagne)
  • Il y a une forte population âgée en situation particulière de soin

 

Quelle est l’origine de votre projet MerciDocteur ?

Nous sommes trois co-fondateurs. Nous avons été consultants pendant 10 ans dans un cabinet de conseil où nous étions spécialisés dans l’accompagnement des projets de transformation des organismes de santé.

Nos missions s’articulaient autour de trois axes principaux :

  • La performance hospitalière, avec de grands projets de transformation, digitale ou non
  • L’accompagnement des organismes de services médicaux (comme les Agences Régionales de Santé, les laboratoires)
  • La stratégie du secteur de la santé (principalement auprès des institutions, comme l’accompagnement sur les projets de télémédecine avec le ministère de la santé)

Nous étions alors tous les jours confrontés aux situations d’urgence pour des pathologies qui auraient pu être prises en charge bien en amont s’il les patients avaient eu un accès au soin à proximité de leurs lieux de vie.

On a donc décidé de créer MerciDocteur pour pallier ce problème. Cela fait un an que nous travaillons sur le projet et la société a été officiellement créée il y a 6 mois.

équipe merci docteur

Quel bilan faites-vous à date ?

La première phase a consisté à embarquer notre premier cercle de réseau dans le projet ; nous avons désormais un partenaire en Bretagne. Sur les derniers mois nous avons participé à plusieurs concours afin de gagner en visibilité (ex. Trophée des services innovants 2017). Et surtout, depuis juin 2017, nous sommes intégrés à l’incubateur Paris Biotech Santé ce qui nous permet d’accélérer le développement de notre projet, d’être coaché, d’avoir accès à un réseau…

L’équipe se construit aussi, nous travaillons avec des médecins partenaires pour nous aider à organiser les futurs cabinets médicaux, et un développeur en free-lance pour développer la plateforme. Dès les premiers contrats signés, nous pourrons embaucher des coordinateurs sur le territoire afin d’assurer la gestion des consommables, la logistique, l’organisation des tournées… bref, la gestion du dispositif au jour le jour !

 

Quelles sont les prochaines étapes pour MerciDocteur ?

Notre première priorité est le pilote que nous allons déployer en janvier 2018. Ensuite, à plus ou moins court-terme nous souhaitons développer notre service à la Bretagne où nous évaluons un fort besoin ; puis un déploiement généralisé sur toute la France. Il y a de la demande partout en France contrairement à ce qu’on peut penser a priori, car avec notre définition de déserts médicaux on voit par exemple émerger des besoins en Ile de France où il y a de moins en moins de médecins acceptant de nouveaux patients.

Notre deuxième axe de développement est l’ouverture aux autres spécialités ; en effet, on a limité notre périmètre d’actions aux médecins généralistes dans un premier temps car il s’agit des demandes urgentes. Dès lors qu’on aura mis en place un maillage sur l’ensemble de la France, nous envisagerons d’intégrer des spécialistes à notre système. C’est là que la télémédecine aura tout son sens : les infirmiers ou orthoptistes par exemple pourront faire le relais avec un spécialiste faisant le diagnostic à distance et ne se déplaçant que pour les actes nécessitant une présence physique.

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Quel est le Business Model de MerciDocteur ?

Nous chouchoutons nos médecins volontaires car c’est une population rare et ils sont au cœur de notre dispositif ; nous les indemnisons sur le temps passé sur la route et le manque à gagner, et ils ne payent rien pour utiliser notre service.

Ensuite, le 2nd acteur ce sont les mairies qui contribuent à la hauteur de leurs capacités ; nous considérons qu’il est primordial qu’elles soient impliquées dans le système car la santé est un sujet majeur. Enfin, il y a aussi beaucoup de co-financement par les institutions au niveau des régions ou départements, les hôpitaux, les ARS…

Nous nous appuyons aussi sur un réseau de partenaires pour la fourniture du matériel médical et la mise aux normes d’hygiène et de déontologie des salles qu’on met à disposition.

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L’e-santé, on y vient ?

 

Comment voyez-vous l’évolution du secteur de la santé avec l’arrivée des nouvelles technologies, du numérique ?

Mon opinion personnelle est qu’on assiste actuellement à un dynamisme inouï des acteurs de la santé et ceci à la granularité la plus fine : les acteurs territoriaux, les startups qui se saisissent du sujet, les médecins, les entreprises… même si au niveau institutionnel, l’évolution reste lente. Par exemple, la télémédecine n’est pas encore reconnue ni remboursée par la sécurité sociale ce qui ralentit son développement. On espère du mouvement !

Par rapport à nos voisins européens, j’ai l’impression que nous sommes en retard ; par exemple, en Angleterre il existe déjà un système similaire à ce que propose MerciDocteur.

De plus, j’envisage une autre difficulté au développement de l’e-santé : depuis 6 mois nous faisons face à un gros problème de réseau dans les déserts médicaux où nous déployons notre solution ; cela va devenir vraiment contraignant, nous ne pourrons pas faire de projets de télémédecine sans un réseau efficace ! C’est donc un élément indispensable à prendre en compte pour relever les nouveaux défis qui s’offrent à nous.

 

Comment les patients et médecins vivent-ils l’intrusion du numérique dans un contexte médical souvent perçu comme intime, historiquement encore loin de ces considérations digitales ?

De notre expérience, les médecins sont plutôt ouverts. Quant aux patients, cela peut s’avérer plus compliqué et il faut faire preuve de pédagogie, de beaucoup de communication.

De manière générale, que ce soit pour les patients ou les médecins, il faut les accompagner dans ce changement en leur montrant que cela fonctionne et que cela leur facilite la vie. Il n’y a pas selon moi de logique dans l’adhésion aux nouvelles technologies ; par exemple, la distinction entre les populations jeunes et âgées n’a pas nécessairement de lien avec l’adhésion à la santé connectée. Il s’agit plutôt de profils digitaux qui vont avoir de l’appétence ou non pour le digital.

 

Merci à Charlotte de m’avoir accordé son temps pour cette interview. N’hésitez pas à consulter le site de Merci Docteur pour plus d’informations.