Fin 2019, l’Insee nous redonne une leçon d’humilité sur le niveau de digitalisation de la société française : « Une personne sur six n’utilise pas Internet, plus d’un usager sur trois manque de compétences numériques de base ». Portrait d’une société en transformation.
La transformation profonde du digital
En juillet 2019, Stanford a publié une étude révélatrice sur le niveau d’adoption irréversible du numérique : suivant entre 1940 et 2018 la façon dont les couples se forment (ex : amis, restaurants…), l’étude nous apprend que 39% des couples se rencontrent en ligne en 2018. Aucun autre moyen n’a obtenu sur la période un tel « score » !
Autre signe de l’évolution de la société, 76% des salariés interrogés estiment que l’ubérisation est positive pour l’économie (enquête ISlean consulting / Harris interactive). Au niveau politique, même le Gouvernement français a ouvert le Grand Débat en ligne, pour accueillir les avis de façon large, suite aux manifestations de Gilets Jaunes. 500 000 personnes ont répondu en ligne à cette sollicitation du débat public en quelques semaines.
Face à des statistiques et des usages qui progressent, certaines voix se sont élevées pour rappeler que les transformations prennent du temps et qu’elles ne sont réussies que quand elles sont inclusives.
Une archipélisation digitale de la France
Dans son livre « L’archipel Français », Nicolas Fourquet analyse de façon très documentée les mouvements de fond de la société française sur de nombreuses couches culturelles à l’œuvre. Cet ouvrage, que je trouve remarquable à plusieurs égards, nous donne des clés de lecture sur certaines polarisations en cours dans la société en France.
En matière d’inclusion numérique, l’Insee nous rappelle dans son étude récente également des tendances, voire des portraits robots des grands exclus du mouvement numérique en cours :
- Les personnes âgées de 75 ans ou plus sont plus de la moitié à ne pas avoir d’accès à internet ;
- Politiquement délicat, le niveau de diplôme est également un facteur clivant : 34% des personnes sans diplôme ou titulaires d’un certificat d’études primaires (CEP) n’ont pas d’accès à internet ;
- Les personnes vivant seules sont 6 fois moins équipées que la moyenne ;
- Celles vivant en couple sans enfants sont 3,3 fois moins équipées que la moyenne.
Pour comparaison, les CSP++, les plus jeunes (15-29 ans), les diplômés du supérieur sont de 2 à 4% à ne pas avoir d’accès à internet.
Si nous avions déjà évoqué certains de ces chiffres, l’étude récente ajoute une mesure de la compétence d’utilisation et donc de l’illectronisme (incapacité face au numérique, à l’image de ce qu’est l’illettrisme pour l’écriture).
Illectronisme : 4 compétences répertoriées
L’accès est rarement suffisant pour bien utiliser le numérique et son apport (ou non) quotidien. La mesure du niveau d’accès, en tant que brique fondamentale, a longtemps été mesuré dans des politiques d’aménagement du territoire. Elle est dorénavant complétée par une vision du socle de compétences nécessaires à l’inclusion dans le monde numérique.

Source : Insee, octobre 2019
Ces compétences sont devenues indispensables dans le monde professionnel autant que dans la vie citoyenne :
- Comment rédiger un CV sans traitement de texte ? Ou faire une facture sans un ERP ?
- Comment se tenir au courant des offres d’emplois sans connaissance des moteurs de recherche ?
- Comment connaitre ses droits vis-à-vis de l’administration sans l’obtention de la bonne information en ligne ?
- Comment communiquer, toujours avec l’administration, quand cette dernière cherche à dématérialiser la relation avec ses administrés ?
Digital et genre ?
L’usage du digital est-il marqué par le genre ? Cette question peut faire sourire. Toutefois, si le gouvernement actuel a fait de l’égalité (professionnelle) entre les genres une cause nationale du quinquennat, observons deux minutes les chiffres sur ce sujet.
Au niveau global, les femmes semblent plus nombreuses en France à faire face à des freins face à l’inclusion numérique : que ce soit l’absence d’équipement, le non-usage, ou même un sujet de compétence, le taux d’illectronisme des femmes est plus élevé que celui des hommes, selon l’étude de l’Insee.

Source : Insee, octobre 2019
Malgré une augmentation d’ensemble en France depuis 10 ans, le niveau d’usage global des femmes reste légèrement en dessous de celui des hommes, comme le montre les statistiques sur l’achat sur internet. La tendance est la même pour l’usage des sites administratifs.

Source : Insee, octobre 2019
Comme souvent, c’est à partir du deuxième étage que cela devient intéressant : en effet, quel peut être l’impact de l’espérance de vie (plus longue pour les femmes) sur les statistiques d’usage du numérique ? Souvenons nous que l’âge est un des éléments réellement clivants.
Nous avons donc fait un focus sur les tranches d’âge 15-44 ans pour couvrir à la fois les plus digital natives ainsi que les « jeunes » professionnels, soit les générations X,Y,Z voire alpha… Bref, les consommateurs les plus fortement ciblés par les agences digitales.

Source : Insee, octobre 2019
Là, non seulement l’écart se resserre, mais en fait, le taux d’usage des femmes est même devant celui des hommes. Ce qui est d’autant plus remarquable quand on prend les usages les plus « branchés », avec la connexion à internet depuis son mobile, c’est que là, on constate une très forte progression du taux d’usage chez les femmes qui finit par un rattrapage du taux chez les hommes.

Source : Insee, octobre 2019
Les taux d’utilisation, et la progression, des femmes (sur la tranche d’âge 15-44 ans) semblent en faire tant d’avant-postes de la transformation en cours. Toutefois, ce n’est pas toujours l’image qui est renvoyée sur le numérique, l’informatique et les femmes.
Inclusion et numérique
Ces éléments doivent éclairer toute transformation : l’inclusion numérique n’est pas encore un fait acquis, que ce soit au niveau des entreprises avec leurs équipes ; ou avec leurs clients. Ou encore pour l’administration française, devant rester capable in fine de donner un accès à chacun des citoyens, y compris les plus démunis et âgés, dans l’exercice de leurs droits.