Paris. Dans le programme qui l’a réélue en 2020, Anne Hidalgo faisait à ses compatriotes parisiens la promesse poétique d’un arbre planté pour chaque naissance dans la Ville Lumière : 170 000 arbres à faire pousser d’ici 2026. Tout Normand que je suis, j’aime les arbres et je suis parfaitement perdu dans les débats pro/anti-Hidalgo. Permettez-moi néanmoins de filer l’exemple pour vous parler d’open data (mais pas que).

Arbres et open data : couper l’herbe sous le pied de nos élus

Balade dans Paris grâce à l’open data

170 000 arbres… Quasiment le double des arbres déjà existants à Paris, l’objectif est de taille et ⅙ du temps disponible pour tenir cet engagement s’est déjà écoulé : l’occasion de faire un bilan. Ca tombe bien puisque Christophe Najdovski – adjoint à la mairie de Paris – prenait les devants le 13 octobre en publiant ce tweet :

 

Tweet auquel il recevait quelques heures plus tard cette réponse (entre autres) :

 

Qu’a-t-il bien pu se passer pour que dans un laps de temps si court, deux personnes s’appuyant manifestement sur les mêmes données ouvertes en arrivent à des conclusions parfaitement opposées ? Un détour par l’Ecosse pour répondre à cette question :

Le biais du vrai écossais

“No Scotman would do such a thing !”  c’est ce que fait dire Antony Flew – philosophe britannique – à son personnage fictif écossais qui, à la lecture des faits divers, découvre les agissements criminels d’un anglais. La semaine suivante, le même lecteur ouvre sa parution hebdomadaire et découvre que les mêmes agissements ont cette fois été commis par un écossais. Malgré tout, son positionnement ne change pas et il se contente d’adjoindre à son exclamation le qualificatif suivant : “No true Scotman would do such a thing !”.

Devenu depuis une métonymie répandue, le “biais du vrai écossais” désigne notre propension à – si tôt qu’elles sont réfutées – ajouter des hypothèses ad’hoc à nos affirmations pour que celles-ci restent valables.

 

Quid de l’open data et des arbres ?

Ce biais des hypothèses ad’hoc explique certainement comment le “nombre d’arbres déjà en augmentation” est redevenu – quelques jours plus tard –  la promesse d’origine, à savoir “un nombre de plantations en augmentation” ou encore un “objectif de rééquilibrage de l’espace public”. Autre exemple : le coup des masques. D’abord non pertinents, ils sont ensuite passés « d’inutiles » à « trop complexes à utiliser pour le commun des mortels ». Des hypothèses ajoutées en l’enfilade pour justifier l’absence de masques dans les pharmacies.

Le génie politicien est parfois dans la connaissance de ce genre de biais. Ce sont ces fois où l’on pensait avoir compris un engagement et où les hypothèses ad’hoc étaient en fait contenues dans la promesse elle-même : 

  • Un arbre pour chaque parisien qui naît sur les 6 prochaines années = on va planter 170 000 arbres ≠ il y aura plus d’arbres à la fin du mandat.
  • Nous allons inverser la courbe du chômage = à la fin du quinquennat la tendance du chômage sera à la baisse ou bien la hausse sera en décélération ≠ il y aura moins de chômeurs dans 5 ans

Ici, toutes les précautions de formulation sont prises pour ne pas risquer d’être mis en défaut (une sorte de vrai écossais anticipé).

Le fait est que les données sur les arbres – publiées par la maire de Paris elle-même ! – ont suffi à une poignée d’internautes à clouer le bec de son adjoint. Quelle est donc cette force que nous apporte l’open data ? En quoi ne peut-elle pas être suffisante ? Quelques pistes de réponse : 

La donnée ouverte résout une part du problème

Ce que permet l’open data : 

  • Constitue un tiers de confiance opposable comme pour les arbres de Paris
  • Tout organisme certifié peut publier des données sans contrôle systématique d’un pouvoir exécutif centralisé
  • La loi Lemaire donne aux citoyens un levier actionnable pour demander la publication de données de références et ainsi multiplier / copier les leviers sur le territoire…

Mais… : 

  • …mais le cadre d’exigence sur ce qui doit être publié est flou (la loi Lemaire parle de données “publiques”)…
  • …et en réalité aucune publication n’est vraiment obligatoire (car le défaut n’est pas puni)
  • L’accès à la donnée ne prémunit pas contre le cynisme
  • L’accès à la donnée ne résout pas nos propres biais (interprétation des données, compréhension des promesses, de leur périmètre, etc.)

D’autant que… :

  • d’autant que l’open data nous demande, citoyens et élus, d’appréhender des problématiques avec lesquels même ceux qui sont payés pour les résoudre s’arrachent parfois les cheveux : garantir la fraîcheur des données, leur exhaustivité, leur cohérence, savoir les interpréter, etc. De la matière pour gagner en compétence donc, mais également de quoi prêter le flanc à de nouvelles hypothèses ad’hoc en puissance : “oui mais… Les données ne sont pas à jour… N’adressent qu’un périmètre restreint…” etc.

 

Reste que sur le coup des arbres et Open Data Paris… ça a fonctionné. Et si on généralisait le concept ? 1 promesse = 1 jeu de données ouvert ? De quoi couper l’herbe sous le pied de certains élus !