Nous avions profité de l’été pour découvrir un premier roman de type polar qui mettait le suspens dans notre monde de plus en plus digital, avec l’internet des objets et les risques associés.

Je poursuis, non pas l’été, mais ces lectures pour vous recommander cette fois Zéro, toujours de Marc Elsberg. (Pour lever toute ambiguïté, je n’ai pas acheté la franchise française des livres de Marc Elsberg !).

En quelques mots, l’histoire : une journaliste anglaise – Cynthia Bonsant – doit brusquement digitaliser sa vie, d’abord pour faire plaisir à son rédacteur en chef qui a obtenu des lunettes connectées et en veut une série d’articles, puis parce qu’un des amis de sa fille adolescente est victime des lunettes connectées ! S’ensuit alors une traque haletante de notre journaliste qui se prend d’affection pour un réseau de hackeurs – Zéro – (des hackers sympathiques ou white hackers) et rentre dans les secrets de gestion et de fabrication d’un réseau social à forte croissance – Freeme –, un réseau qui « vous veut du bien » : Freemee veut vous rendre la maîtrise de vos données personnelle, tout en rendant votre vie meilleure.

 

Nous sommes tous des ringards en attente face au digital !

L’auteur suit le parcours d’une journaliste plutôt ouverte sur le monde. Et pourtant, elle est passée à coté de certaines choses. Notamment les lunettes connectées.

Heureusement, sa fille adolescente va la guider dans ce nouvel environnement. On retrouve le thème de l’accélération des changements et de l‘inversion entre ceux qui savent, malgré leur jeune âge, et ceux qui courent derrière, à cause du poids de leur expérience qui les distrait des nouveautés.

Le digital, assurément vecteur de modernités, impose son rythme : imaginez-vous en train de dire que Pokemon Go n’a aucun intérêt… Vous passerez pour quoi ?

« Quand c’est gratuit, c’est vous le produit ! »

De nombreuses entreprises du Web proposent des services gratuits d’abord pour disposer de données qu’elles sauront rentabiliser. Le Business model du réseau social (fictif, bien sûr) de Freeme est celui de redonner aux internautes la maitrise de leurs données, pour mieux les aider à les vendre !

Ce paradoxe, pour ceux qui sont encore sensibles à leur vie privée (si tant est que cette notion ait un sens universel…), est plutôt bien abordé dans le livre : pourquoi ne pas accepter d’être mis sous surveillance numérique quand on n’a rien à cacher ? Et pourquoi refuser de « faire de l’argent » en vendant en toute conscience ses données ?

J’ai vu en Freemee une sorte de démonstration par l’absurde de ce qui est en train de se passer : chacun devient vendeur de ses données, sous prétexte de la reprise en main de sa propre vie privée. Dans la réalité, les fournisseurs de boite mails gratuites, qui lisent nos correspondances ont encore de beaux jours devant eux. Paradoxe évident de nos usages liés au digital : imaginez que le facteur ouvre vos lettres…

Le modèle immersif des entreprises du digital

C’est une sorte de constat du livre : Freemee est une entreprise digitale qui vise à offrir une expérience complète et immersive personnalisée. En effet, le réseau social propose des App pour aider ses utilisateurs à avoir une vie meilleure : santé, scolaire, amitié, amour…

Comme le réseau permet de reprendre en main ses données, et donne à l’utilisateur la possibilité de gagner de l’argent en vendant ses données, l’utilisateur a tous les moyens pour devenir complètement connecté à Freemee (au-delà de son smartphone). Il peut par exemple acheter la montre, la balance… qui l’immergent en continu aux App de Freemee et qui lui donnent ainsi, sur la base d’algorithmes savants, les meilleurs conseils de vie.

Comme l’utilisateur ouvre ses données à Freemee avec tout son attirail digital, l’application est de plus en plus précise dans ses conseils.

L’expérimentation intrinsèque des entreprises digitales

C’est l’interrogation du livre qui m’a le plus touché : Freemee est une entreprise dont le « matériau » premier est son utilisateur. En effet, le réseau social propose des conseils personnalisés pour aider ses utilisateurs à avoir une vie meilleure. Ce sont donc les utilisateurs qui incarnent le service livré par Freemee.

Comme toute startup et entreprise du digital, Freemee innove sans cesse pour améliorer le résultat de son service. Et comme toute startup, Freemee utilise une approche d’innovation par l’expérimentation. AB Testing, cycle court, droit à l’échec… Marc Elsberg a le talent de bien raconter les pratiques de ces entreprises au travers du cas Freemee. Et de l’appliquer sur des humains.

En effet, Freemee développe, teste et améliore ses algorithmes pour aider ses utilisateurs à mieux vivre. Mais qu’est-ce que mieux vivre ? Et quel droit à l’erreur a-t-on le droit d’accepter sur ces essais grandeur nature ? Par comparaison, quand un laboratoire pharmaceutique sort un médicament, il a été testé d’abord in vitro, in vivo (dont des animaux…) puis enfin sur des humains.

Dans le cas de Freemee – comme pour de nombreuses entreprises digitales –, le process est raccourci (le lean startup 😉 : l’algorithme est testé sur un petit échantillon de cas réels, l’entreprise observe le résultat et elle apprend. Parfois au détriment de son utilisateur, poussé aux limites ! Faut-il pour autant arrêter l’innovation digitales ? Faudrait-il prévenir l’utilisateur du réseau social qu’il est dans un test ? Lui demander son accord ? Comment ne pas fausser les résultats dans ce cas ?

La postface de Zéro de Marc Elsberg nous apprend que, peu de temps après la publication du roman, Facebook a admis avoir fait des tests de nouveaux algorithmes sur 600 000 utilisateurs sans les avertir. Une fiction digitale ?