Au plus fort des vacances – première quinzaine d’août – pourquoi ne pas transgresser un peu les lignes en s’aventurant sur le terrain du polar ?
Converti à cette littérature depuis plusieurs années, je dois avouer être un fan de polars. Surtout les américains ou apparentés… Mais avec des vacances sans véritable nouveauté des best sellers (ni Harlan Coben, ni Maxime Chattam…) et où même Connelly ressort Harry Bosch post émeutes de Los Angeles de 92, j’ai ouvert mon champs en osant le polar… autrichien !
Bien sûr, l’Europe nous avait déjà livré aussi des auteurs de polar à succès mondiaux (par exemple, la trilogie suédoise de Millenium). Mais je n’en connaissais pas encore venus d’Autriche.
J’ai donc lu Black Out de Marc Elsberg (comme déjà plus d’un million de personnes…).
Je vais oser vous le recommander (en toute indépendance et fraîcheur par rapport aux sites littéraires) : c’est un polar digital, qui interroge sur notre âge numérique mais rappelle l’importance de l’entraide entre les institutions.
Avant de commencer, quelques mots sur l’intrigue (et pas la chute !) : Marc Elsberg décrit dans Black Out le plus grand casse jamais mené par des pirates informatiques (ou hackers) qui réussissent à mettre en panne toute l’Europe, pour commencer. Ils démarrent par les compteurs communicants pour mieux s’infiltrer dans les smart grid (réseaux électriques intelligents) et provoquer un série de catastrophes en Europe…
C’est un polar numérique (ou digital !)
On y retrouve d’abord des hackers, bien sûr. Gentils et méchants à la fois dans cette aventure. Symboles – ou nouveaux héros ? – de notre société, devenue si digitale que l’enseignement du code est déjà un débat pour l’école. Evidemment, même si l’auteur précise que c’est d’abord une œuvre de fiction, on y reconnait les compteurs installés par ErDF (Enedis maintenant) et EDF depuis maintenant plusieurs années. Et leurs cousins des autres pays européens, également déployés par les fournisseurs d’énergie.
Faiblesses et forces de l’âge digital
Sans chercher à interpréter le livre, je n’ai pu m’empêcher de lui trouver deux interrogations principales. D’abord, une interrogation sur notre dépendance envers les technologies : les objets connectés à internet (Internet of Thing – IoT) ont un rôle considérable dans les événements. Mais également les logiciels censés nous livrer les informations capitales pour prendre les décisions. Avec la série de défaillances en chaîne racontées par Black Out, je me suis évidemment interrogé sur le rapport Risques / Bénéfices de nos expérimentations de la société digitale.
Ensuite, bien que le livre fasse durer le scénario catastrophe plusieurs jours, j’y ai perçu une forme d’expression à rebours de l’âge de la multitude : une fois plusieurs Etats privés d’électricité et de tout ce qui va avec (notamment internet), les scènes de brutalité se multiplient. Est-ce une démonstration par l’absurde que ce que l’homme a commencé à créer avec la mise en réseau a une utilité pacificatrice ? Priver les femmes et les hommes de connexions, ils reviennent à la caverne ? A l’inverse, plus nous avancerons dans la mise en réseau – transparente et volontaire – des individus et plus nous donnerons de chances à la paix ?
Polar européen
C’est mon dernier point en réponse à mon préjugé initial : Marc Elsberg a écrit un vrai polar européen. Et quelques semaines après le Brexit, cela fait du bien de voir que certains croient encore en l’Europe. Cela donne bien sûr un terrain plus large pour faire résonner les catastrophes de l’intrigue de Black Out, également plus de lecteurs potentiels à l’auteur et à son éditeur, mais c’est rare de voir un récit se passer dans plusieurs pays en même temps, avec des personnages de plusieurs nationalités. Pour notre orgueil national, l’auteur a même eu la bonne idée de donner à un français l’un des rôles des principaux personnages secondaires. (le héros est italien). Ce qui a également retenu mon attention est que l’auteur a donné des rôles tout aussi importants aux institutions (dont Europol). Si le héros est « ordinaire », il parvient, après plusieurs rebondissements, à s’entourer de talents et faire ainsi émerger une réponse collective, puis institutionnelle, pour faire suite à ses découvertes individuelles. Cela permet de rappeler que les institutions et l’entraide entre ces dernières, que la facilité pousse parfois certains à critiquer, peuvent aussi jouer des rôles salvateurs dans la résolution des crises. Et qu’il faut savoir apprécier cela sans espérer la crise pour le voir à l’œuvre.
Très intéressant : oui nous sommes de plus en plus dépendants des technologies, et non ça ne change rien. Ici on parle de dépendance aux dernières technologies, mais ne sommes-nous pas encore plus dépendant à l’électricité, au moteur à explosion, aux engrais, à l’agriculture concentrée ?
Combien d’humains sur 7 milliards survivraient si tout cela disparaissait du jour au lendemain ?
Les technologies de la communication ont-elles un rôle pacificateur ? Je pense que oui, car elles montrent que chacun peut tirer parti des forces des autres, et elles permettent de le mettre en oeuvre. Les Allemands ne sont-ils pas les champions de la machine outil, les Français du bien vivre, les Américains de l’innovation, etc.
Qui aujourd’hui, en y réfléchissant sérieusement deux minutes, arriverait à la conclusion qu’il serait mieux isolé en autarcie que membre d’une large communauté, interdépendant des autres ?