Il y a un peu plus d’un an j’écrivais sur l’utilisation de technologies par le régime chinois pour contrôler sa population. Notamment, l’usage de la reconnaissance faciale couplée aux caméras de sécurité qui quadrillent les grandes villes. Je concluais sur la vigilance qu’il conviendrait d’observer quand nos pays démocratiques décideraient d’utiliser de telles technologies. Nous y sommes.

Après le carnaval, les lycées

Une expérimentation de l’usage de la reconnaissance faciale par la ville de Nice lors de son carnaval en février avait déjà généré des tensions entre M. Estrosi, maire de Nice, et la CNIL. Fin octobre, c’est le projet d’usage de la reconnaissance faciale à l’entrée de deux lycées en région PACA qui a entraîné une passe d’arme médiatique entre la CNIL et trois élus de la région MM. Estrosi, Ciotti et Muselier.

Ces derniers défendent la sécurité apportée par un dispositif de reconnaissance faciale à l’entrée des lycées, tandis que la CNIL indique qu’un tel dispositif serait non conforme au RGPD (en vigueur depuis mai 2018), notamment car « Les dispositifs de reconnaissance faciale sont particulièrement intrusifs et présentent des risques majeurs d’atteinte à la vie privée et aux libertés individuelles des personnes concernées ». La CNIL indique par ailleurs qu’un contrôle d’accès par badge peut répondre aux besoins de sécurisation des entrées du lycée. Cet avis de la CNIL a déclenché l’ire des trois politiques qui dénoncent une «idéologie poussiéreuse » et des «blocages idéologiques d’un autre temps ».

Quels usages de la reconnaissance faciale en France ?

Très médiatique, cette confrontation a permis de sortir de l’ombre la question de l’usage de la reconnaissance faciale par les autorités françaises.

Cette technologie est déjà utilisée dans le domaine judiciaire. Intégrée au fichier des antécédents judiciaires, elle a permis, par comparaison de photos, l’identification de suspects dans différentes procédures, dont l’attaque au couteau perpétrée à Paris en mai 2018.

Plusieurs projets de reconnaissance faciale en temps réel sont également en cours, à des stades plus ou moins avancés. Dans plusieurs aéroports français, le système Parafe permet l’identification par reconnaissance faciale, en plus de l’identification par empreintes digitales. Un projet de gestion des foules (projet S2UCRE), permettant de repérage notamment de mouvement suspects, est en cours, mobilisant la préfecture de police de Paris et des industriels. Alicem, une application permettant de réaliser des démarches administratives sur smartphone, est en cours de développement par le Ministère de l’intérieur. Sa particularité ? L’obligation pour s’y inscrire de passer par une étape de reconnaissance faciale. La CNIL s’est alarmée qu’aucune alternative à ce dispositif ne soit proposée aux citoyens.

Progressivement, la reconnaissance faciale se déploie. Au delà des questions de sécurité et de simplicité, l’enjeu est économique. Gemalto et Idemia en tête, des industriels français proposent ces technologies et ont intérêt à prouver rapidement le bon fonctionnement de leurs solutions en conditions réelles pour se positionner sur un marché mondial (rien n’empêche cependant que les industriels français ne réalisent leurs expérimentations en conditions réelles à l’étranger, Idemia vend déjà sa solution aux services de police américains et australiens).

Toutes ces expérimentations appellent une « nécessaire régulation de la reconnaissance faciale » selon les termes du Conseil National du Numérique, qui a lancé en juin avec le Forum économique mondial un projet visant à construire un cadre de régulation de la reconnaissance faciale qui garantisse la protection des libertés individuelles.

Dans certaines villes américaines, des choix radicaux

En l’absence de régulation fédérale, plusieurs villes américaines, comme San Francisco ou Oakland, ont fait le choix d’interdire l’usage de la reconnaissance faciale par les autorités locales et les services administratifs. Des projets similaires sont en discussion à New-York et Portland.

Ces villes américaines, soutenues par l’Union Américaine pour les Libertés Civiles (ACLU), mettent en avant les risques pour les libertés civiles et les injustices raciales induites par ces technologies. Un système de reconnaissance faciale couplé à des caméras pourrait être utilisé sans le consentement des personnes filmées. Par ailleurs, bien que la performance des systèmes ait fait de grands progrès en quelques années, les taux de faux positifs (le système indique avoir identifié quelqu’un mais se trompe) restent très différents selon la couleur de peau et du sexe des individus.

Conclusion

Les expérimentations devraient se multiplier en France dans les prochaines années. Elles permettront d’alimenter la réflexion en vue de la construction d’un cadre législatif dédié à la reconnaissance faciale, français ou européen. Les Jeux Olympiques de 2024, aux enjeux de sécurité colossaux, constitueront sans doute un jalon clé dans la réflexion sur ces technologies.