Notre cabinet développe une expertise en bilans carbone et en digital durable. Aujourd’hui je m’intéresse à l’impact carbone de l’informatique.
Ce sujet est vaste. Il va falloir le restreindre pour que ce soit compatible avec le format article de blog. Dans cet article, nous ne nous occuperons que des ordinateurs portables, dont la production représente 17% de la consommation énergétique du numérique. Nous ne nous occuperons pas de l’utilisation, des réseaux ou des data centres. Voici ce que nous dit le Shift Project :
L’empreinte carbone de nos ordinateurs portables
Pour cet article, je m’appuie sur une étude intitulée « Product Carbon Footprint (PCF) Assessment of Dell Laptop – Results and Recommendations », publiée en 2010 par Scott O’Connell et Markus Stutz. Cette étude décompose l’empreinte carbone de la fabrication d’un ordinateur Dell Latitude E6400. Un PC un peu vieux, sorti en 2008, mais c’est la seule étude suffisamment précise dont je dispose à ce jour. Les résultats de cette étude m’ont surpris à plus d’un titre.
Production, assemblage, transport
Le graphique suivant montre la répartition de l’empreinte carbone de la machine entre la production de ses composants, leur assemblage, et le transport du produit fini vers le client.

Empreinte carbone de la production, de l’assemblage et du transport d’un ordinateur portable
L’empreinte carbone de la fabrication de la machine est comptée comme valant environ 151 kg eq CO2. Plus récemment, en 2018, L’ADEME donne un ordre de grandeur similaire : 124 kg eq CO2 pour la fabrication d’un ordinateur portable, sans préciser ses caractéristiques. L’assemblage a une empreinte plutôt faible (4 kg eq CO2), mais celle du transport vers le client représente près d’un quart de l’empreinte totale (48 kg eq CO2 pour un total de 151+48+4 = 203 kg eq CO2) ! En effet, le transport des produits vers l’Europe et les Etats-Unis se fait par avion. Concernant l’empreinte de l’extraction des matériaux, de leur transformation, et du transport des composants, elles sont inclues dans l’empreinte de la production des composants.
Décomposition de l’empreinte carbone de la production
L’empreinte carbone de chaque composant est répartie comme suit :

Décomposition de l’empreinte carbone de la production d’un ordinateur
Contrairement à ce à quoi je m’attendais, la batterie a un poids relativement faible dans l’empreinte carbone totale de la fabrication de la machine : environ 9kg eq CO2, sur un total d’environ 151 kg eq CO2. Autrement dit, dans la fabrication d’un ordinateur portable, l’empreinte carbone de la batterie représente environ 6% de l’empreinte totale de la machine.
Il ne faut pas se méprendre avec la faible part de transport indiquée ci-dessus : je le rappelle, il s’agit du transport en amont de la fabrication qui se fait par camion, et non du transport aval qui lui, se fait en partie par avion.
L’élément le plus lourd en termes d’empreinte carbone est la carte mère et ses composants, qui totalisent 47% de l’empreinte carbone du PC (71 kg eq CO2 sur un total de 150 kg eq CO2).
Décomposition de l’empreinte carbone de la carte-mère
Voici comment est répartie l’empreinte carbone de la carte-mère entre tous ses éléments :

Décomposition de l’impact carbone de la production d’une carte mère
Les principaux éléments en termes d’empreinte carbone sont :
- La RAM (en rouge), dont l’empreinte carbone compte pour 37% de celle de la carte-mère, soit 17% de l’empreinte totale de l’ordinateur ! Le modèle étudié est un PC Dell de 2008, avec 2 Go de RAM. La plupart des modèles produits aujourd’hui en proposent 16 Go. J’ai bien cherché, mais je ne suis pas capable de vous dire dans quelle mesure cela fait augmenter ou non leur empreinte carbone. Intuitivement, je dirai qu’en tous cas, ça ne l’aide pas à diminuer…
- Le circuit imprimé (« substrate », en bleu clair), dont la fabrication demande beaucoup d’énergie, qui compte pour 24% de l’empreinte carbone de la carte-mère, soit 11% de l’empreinte totale de la machine.
- Les autres composants standards (« standard active components », en vert clair) comme les circuits intégrés, transistors, diodes et LED sur la carte mère. Ces composants contiennent tous un die, petit morceau rectangulaire résultant de la découpe d’un wafer, une tranche très fine de silicium, dont la production demande elle aussi beaucoup d’énergie.
Et l’utilisation dans tout ça ?
Voici les données fournies par le Shift Project sur les émissions induites par l’utilisation de nos appareils électroniques selon la zone géographique :

Impact carbone de l’utilisation des appareils électroniques selon la zone géographique
Finalement, l’utilisation du PC compte assez peu dans les émissions totales : 2 kg eq CO2 par an en moyenne pour la France. Cela est dû à notre mix électrique peu carboné (merci le nucléaire, la moyenne mondiale est à 29 kg eq CO2 par an, soit 15 fois plus élevée). Cette utilisation tient seulement compte de la consommation directe d’énergie par le PC, et pas de l’énergie consommée par les infrastructures réseaux et les serveurs distants qu’il fait tourner. La plupart des émissions d’un PC au cours de son cycle de vie (en France), de la fabrication à sa fin de vie sont de l’énergie grise, c’est-à-dire qu’elles sont déjà embarquées dès sa sortie d’usine !
Récapitulons…
Bon… Ca fait pas mal de données d’un coup et présentées de façon différente. Résumons toutes ces informations dans un seul graphique :
Utiliser un PC en Chine pendant 4 ans consomme autant de CO2 que sa production ! Le reste du monde n’est pas très loin. La France fait vraiment figure de bon élève de ce côté-là.
Quelles pistes pour réduire l’empreinte carbone de son informatique ?
Voici plusieurs pistes, pour réduire l’empreinte carbone de son informatique. D’après ce qu’on a vu précédemment, on peut légitimement considérer que ces pistes constituent des leviers importants sans forcément en avoir quantifié les impacts (nous le ferons un jour, j’en suis sûr!)
Mettre en place le BYOD (Bring Your Own Device)
Bring Your Own Device, en français « apportez votre équipement personnel » est une tendance qui consiste à amener son matériel informatique personnel sur son lieu de travail pour un usage personnel. Les salariés sont alors défrayés sur l’utilisation de leur matériel (ex. 50€ par mois) et l’usage est tout à fait permis par l’URSSAF.
Outre ses nombreux avantages, le BYOD fait qu’on n’a qu’une seule machine à la fois pour le pro et le perso. Les émissions dont je suis responsable par la fabrication du matériel informatique que j’utilise sont donc divisées par deux. Moins d’émissions et moins de déchets électroniques.
Prolonger la durée de vie des équipements
Dans un modèle de société qui nous pousse encore à consommer et à jeter plutôt qu’à réparer, ce conseil peut être plus difficile à entendre.
Changer la batterie
La batterie d’un ordinateur portable commence à vieillir au-delà de 500 cycles de charge, ce qui fait moins d’1,5 ans si on fait l’hypothèse d’une charge par jour. Bien-sûr, cela ne veut pas dire que la batterie est morte et qu’il faille absolument la changer, mais qu’elle commence à perdre en autonomie. Sur ses machines construites après 2008, Apple considère qu’une batterie est usagée autour du millier de cycles de charge. Comme on l’a vu, la fabrication de la batterie ne représente que 6% des émissions embarquées d’un ordinateur portable, et changer la batterie peut sérieusement contribuer pour pas cher à donner un nouveau souffle à une machine vieillissante.
Tandis que la durée de vie des autres composants est plus élevée que celle de la batterie, on peut s’interroger sur l’intérêt de remplacer toute une machine parce que la batterie arrive en fin de vie après 2-3 ans d’utilisation normale.
Ménager et entretenir le disque dur
Les disques durs des ordinateurs sont répartis en secteurs. Le système d’exploitation rassemble ces secteurs pour former des blocs, ou des clusters. Un fichier peut être réparti sur plusieurs blocs, pas forcément contigus. Un peu comme si les différentes parties d’un document (un fichier) étaient contenues dans différents tiroirs (les blocs) d’une même armoire (le disque dur), augmentant alors le temps nécessaire pour accéder au fichier complet. C’est ce qu’on appelle la fragmentation. Sur les systèmes Windows, à mesure que les fichiers sont modifiés, supprimés, copiés, la fragmentation augmente. C’est une des raisons qui explique que les machines tournant sous Windows semblent de plus en plus lentes à mesure qu’elles vieillissent. De temps en temps il faut donc défragmenter le disque dur, c’est-à-dire faire un grand rangement qui répartira les fichiers sur un espace contigu.

FragmentationDefragmentation
Voilà un second moyen de donner un nouveau souffle à une machine qui vieillit.
Choisir un bon système d’exploitation
Pour augmenter la durée de vie du disque dur, vous pouvez le défragmenter quand c’est nécessaire, ou choisir un système d’exploitation construit de sorte que ça ne soit jamais nécessaire. C’est le cas des systèmes Unix, une grande famille de systèmes d’exploitation comprenant notamment tous les Mac OS et distributions Linux.
Selon une statistique complètement arbitraire établie par moi-même et fondée sur des constats tout à fait personnels, les ordinateurs Apple ont une durée de vie supérieure aux autres, et utiliser Linux sur un PC réduit considérablement la vitesse de son obsolescence et donc augmente sa durée de vie. Notamment par l’absence d’intérêts commerciaux. La multiplicité des distributions Linux fait qu’on en trouve pour vraiment tous les profils d’utilisateurs et toutes les configurations et âges de machines. Ubuntu, la distribution la plus répandue peut être utilisée par n’importe qui du fait de sa simplicité et permet aussi bien de faire tourner une vieille bécane comme d’exploiter pleinement le potentiel d’un foudre de guerre dernière génération sortie de l’usine. En plus c’est léger : pour information, la dernière version d’Ubuntu (20.04 LTS) pèse 2,7 Go, contre 32 Go pour Windows 10.
Les recommandations du Club Green IT
Le club Green IT donne aussi des recommandations à appliquer à l’échelle de l’organisation :
- Acquérir en priorité des équipements remis en état (réemploi ou reconditionnement)
- Upgrader les équipements plutôt que de les remplacer
- Réaffecter les équipements en interne avant d’en acquérir de nouveaux
- Favoriser le réemploi et considérer le recyclage uniquement en dernier recours (le recyclage consomme en effet beaucoup d’énergie, d’autant plus lorsque les composants sont miniaturisés et les alliages métalliques complexes)
On l’a vu, réduire l’impact carbone de son informatique est plutôt simple, pourvu qu’on veuille bien se donner un peu de peine.
Merci pour cet article documenté et intéressant.
Cette fameuse énergie grise est souvent celle qui est prépondérante. A appliquer aux voitures ? Accélérer leur remplacement est sans doute la mesure la plus anti-écologique qui soit. Si vous avez des infos …
Bonjour Thierry,
Merci pour votre commentaire.
En effet, il est indispensable de l’appliquer aux voitures.
Je n’ai pas de données précises sur l’énergie grise des voitures, mais je sais déjà qu’il y a une foule de paramètres à prendre en compte :
– l’énergie demandée au cours de tout leur cycle de vie (de la production à la casse)
– l’empreinte carbone de cette énergie selon le mix électrique du pays de production et du pays d’utilisation
– le poids des véhicules, qui ne cesse d’augmenter depuis des dizaines d’années (notamment par l’explosion des SUV ou l’inflation des équipements)
– il faut aussi faire une étude comparative entre la production et l’utilisation d’un véhicule neuf (thermique ou électrique) versus continuer de faire rouler un véhicule plus ancien (cela dépendra aussi de la fréquence et de la durée des trajets).
– Enfin, l’empreinte carbone n’est pas le seul facteur environnemental à prendre en compte : l’industrie minière pour extraire les matières premières des batteries et équipements électroniques pollue les cours d’eau par le rejet de produits dangereux et détruit des écosystèmes.
Bref, le matraquage « véhicule électrique/neuf = plus propre » est vraiment à prendre avec des pincettes : les paramètres ci-dessus ne sont jamais évoqués par ceux qui promeuvent les politiques de remplacement. La seule chose que cela m’inspire, c’est que les lobbies de l’automobile sont puissants : ils ont tout à gagner d’une politique qui soutient leur production.
Si vous cherchez des données sérieuses sur la question, je vous conseille de chercher des articles universitaires sur Google Scholar plutôt que dans la presse généraliste qui fait travailler des pigistes payés une misère qui n’ont pas le temps de fouiller un sujet sérieusement.