Transformation numérique : quels impacts pour le secteur de l’enseignement ?
100 fois plus puissant, 100 fois moins cher, 100 fois plus accessible, le numérique a connu une révolution : Internet
Accès à Haut Débit, puis Très Haut Débit, géants de l’internet fournissant puissance de calcul, stockage et hébergement à des prix dérisoires, progrès des stockages (1 To tient maintenant sur un ticket de métro, et c’est 22 km d’épaisseur de pages A4 imprimées en police Arial 12), 3/4/5G, smartphone, Internet des objets, Blockchain, Big Data, Machine learning, capacités ATAWAD… Depuis 2015, et pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, tout individu équipé a accès à la quasi-totalité du savoir humain au bout de quelques secondes de recherche, et ce pour quelques dizaines d’euros par mois tout compris. Jamais jusqu’ici l’individu n’avait eu autant de pouvoir à sa portée.
A la fin des années 1990, seuls de grandes entreprises ou de grands Etats pouvaient se permettre d’avoir des systèmes d’information dignes de ce nom, et chacun d’entre eux coûtait plusieurs centaines de milliers d’euros à construire et faire fonctionner. Toute PME ou groupe de personnes entreprenantes peut maintenant construire un système d’information pour quelques milliers d’euros.
Tous les secteurs, tous les processus de travail, qui portent la marque des outils de l’époque où on les a pensés, sont amenés à en être profondément transformés, car ce qui était impossible hier, est devenu une réalité. Le secteur de l’enseignement n’a pas de raison d’échapper à de profondes reconfigurations, d’autant plus que c’est un secteur qui manipule et échange du savoir, donc des données.
Situation du secteur de l’enseignement aujourd’hui
Nous avons pu constater la pression que subit le secteur de l’enseignement pour tirer parti du numérique, notamment pour le coeur de métier constitué par la pédagogie et la transmission du savoir. Mais faute de connaissance de la matière technique, et plongés dans des écosystèmes aux cultures et croyances figées dans des paradigmes d’avant l’Internet, où les SI étaient chers et compliqués, les décideurs abordent cette problématiques sous l’angle des matériels (réseau, postes de travail, tablettes, serveurs) ou logiciels (ENT, système d’exploitation), avec de légitimes considérations sécuritaires (VPN, Firewall de filtrage, RGPD) conduisant malheureusement souvent à des freins voire des blocages de la capacité à travailler.
Le “Cloud” offre des possibilités, ATAWAD notamment, qui ne sont pas comprises.
Le débat est trop souvent construit autour d’oppositions : libre (= choix à faire) vs. commercial (= choix à éviter), solutions prescrites par l’institution vs. solutions souvent issues du grand public plébiscitées par les enseignants et les élèves.
Nous constatons que les responsables informatiques passent leur temps à maintenir le parc informatique de l’établissement en l’état, au détriment de l’accompagnement des enseignants et des équipes administratives, qui ont besoin d’aide pour chercher des technologies qui enrichissent leurs pratiques et se les approprier.
Les intérêts du numérique pour les écoles
Grâce au numérique, les écoles donnent les moyens aux enseignants, aux élèves, aux parents et aux équipes administratives, d’être porteurs de changements bénéfiques. Ces changements peuvent intervenir de différentes manières :
- Substituer : le numérique remplace un outil précédent, par exemple un éditeur de texte remplace le papier et le crayon
- Augmenter : le numérique permet de faire mieux, en incrémental. Par exemple, un traitement de texte, qui permet, contrairement au papier, de modifier, déplacer des blocs de texte, de faire des corrections d’orthographe.
- Modifier : on commence à faire autrement. Par exemple, la classe inversée, où des contenus multimedia sont diffusés, et le rendez-vous présentiel sert à des questions et des échanges dans l’intimité pédagogique
- Réinventer : on réalise des activités qui n’étaient pas possibles auparavant. Par exemple, demander aux élèves de produire une video à plusieurs sur un sujet d’étude.
Exemples d’intérêts pour les responsables :
- Manager autrement (par exemple : partager l’information, associer les enseignements, les équipes administratives et les élèves aux réflexions…)
- Permettre à l’organisation de gagner en agilité pour pouvoir développer des dispositifs pédagogiques différents (remplacer le “je parle en cours, ils prennent des notes”)
- Augmenter le pouvoir d’agir des enseignants et des élèves
Exemples d’intérêts pour les enseignants :
- Rendre possible des pratiques pédagogiques différentes (par exemple : travail en équipe, classe inversée, différenciation …)
- Simplifier les processus et gagner en qualité de vie au travail (par exemple : pouvoir faire des choses à distance, en temps choisi)
- Améliorer l’engagement et la motivation des élèves en utilisant leur smartphone, leurs codes culturels (par exemple Discord a été mis en place par les syndicats lycéens lors du confinement)
- Améliorer la relation et le suivi personnalisé (par exemple : suivi décrochage des élèves, conversations dédiées avec chaque élève)
Exemples d’intérêts pour les élèves :
- Comprendre le numérique comme un fait social total (tout devient numérique) et y trouver sa place
- Mettre son smartphone, sa tablette, son ordinateur au service de ses apprentissages
- Développer des compétences du XXIe siècle qui seront essentielles pour réussir ses études supérieures et son insertion professionnelle
Retour d’expérience lors de la période de confinement due au coronavirus
Lors de la crise du coronavirus, le numérique a permis d’assurer la continuité de fonctionnement des établissements. Par exemple :
- Classe virtuelle sur Classroom, entretien du lien via du Chat, accompagnement hebdomadaire en visioconférence, enrichissement des contenus sur YouTube et les outils de production partagée Docs/Sheets/Slides, suivi des progressions avec Formulaires en ligne
- Documents partagés pour faciliter la gestion des apprentissages et l’encadrement des élèves, communication quotidienne et collaborations actives des équipes.
Néanmoins cette période a aussi montré des faiblesses, comme la difficulté des enseignants à harmoniser leurs pratiques, la sur-sollicitation des élèves sur des canaux trop nombreux, l’hétérogénéité des outils utilisés par les enseignants, le recours de la visioconférence comme l’alpha et l’omega de la classe à distance…
Retour d’expérience sur la transformation digitale de l’ENC Blomet
Notre intervention a commencé début 2018 par un diagnostic de l’organisation. Outre ce sujet, nous avons constaté que l’école n’avait pas tiré bénéfice des apports de la révolution numérique de l’Internet, notamment relativement aux sujets de l’accès au réseau, de gestion des postes de travail et des serveurs, des systèmes de bureautique et de collaboration, de service offert aux personnes de l’école.
Pour démontrer le parti que l’école pouvait tirer des technologies, nous avons conduit une phase pilote de tests, sur un périmètre et une durée délimités. Les leçons tirées de ces tests, nous avons déployé les recommandations qui se sont graduées suivant ces quatre niveaux :
- Niveau 1 – Mise en œuvre d’un accès à Internet à très haut débit, de la projection sans fil et du Wifi dans toutes les salles
- Niveau 2 – Hébergement des serveurs informatiques de l’école dans des datacenter Cloud pour améliorer l’efficacité et réduire les risques et les coûts
- Niveau 3 – Mise en place d’une solution Cloud bureautique grand public pour permettre un travail collaboratif (mail, agenda, partage de documents, chat, visio) pour toutes les équipes de l’école et pour les élèves
- Niveau 4 – Appropriation des outils par l’ensemble des utilisateurs pour Substituer, Augmenter, Modifier et Réinventer les pratiques. Le confinement dû au coronavirus a accéléré cette montée au niveau 4
L’obligation de continuer l’activité d’enseignement pendant le confinement a provoqué de fortes secousses telluriques sur le marché des solutions numériques. Certains établissements s’étaient préparés à étendre à l’enseignement l’usage de l’application de relation établissement-famille. Ce fut un flop dès le premier jour par exemple pour l’application Charlemagne, à laquelle il était impossible de se raccorder. En revanche, l’application Discord, conçue pour les joueurs en ligne, a été adoptée par la base dans un nombre impressionnant d’établissements.
On notera aussi l’énorme économie en conduite du changement que le brusque confinement a permis de réaliser. Les enseignements se sont retrouver sans transition à devoir préparer leurs classes à l’aide d’outils numériques le plus souvent inconnus d’eux, sans formation ni préparation. Très nombreux sont ceux qui se sont adapté, il est vrai avec l’aide de collègues voire de parents..
Bonjour Louis-Aimé, merci de ce retour. Nous avons constaté que nombre de ceux qui pensaient s’être préparés ont dû revoir leur copie pendant les premiers jours de confinement, par exemple car la solution du CNED préconisée par le MEN s’est effondrée au bout de quelques minutes sous la charge pour laquelle elle n’avait pas été conçue.
Discord, largement utilisé par les enfants, a émergé sous leur pression, quand l’établissement n’avait rien à proposer. Aujourd’hui mes enfants utilisent Discord pour leurs travaux de groupe en études supérieures.
Dans un des établissements où nous avions mis une suite collaborative incluant une solution de visio, cette dernière est passée de 1 utilisation par semaine à début mars 2020, à 700 utilisations par semaine (hors congés) en avril et mai 2020.
Au pied du mur, on apprend à monter ou on reste en bas : le COVID a obligé les gens à apprendre à monter le mur, ceux qui ne l’ont pas fait on été très défavorablement visibles. Le COVID a donc été ambivalent pour l’adoption du numérique : positif car l’enseignement a dû s’en emparer, négatif car il a révélé des failles peu visibles, notamment par l’irruption des parents dans les salles de classes en visio.