Quand j’ai commencé à travailler pour le secteur public il y a 7 ans, je me rappelle encore d’une administration qui m’avait mis entre les pattes la méthode Mareva 2, en me disant « Voila ce qu’il faut faire pour cadrer le projet et obtenir une décision de GO / NO GO ». A l’époque j’avais plongé (mais très vite remonté à la surface) dans Mareva 2 et je m’étais montré sceptique quant à cette démarche et cet outillage qui ne m’avaient pas paru adaptés au cas que je devais traiter à l’époque. 7 ans plus tard, ayant réussi des projets de modernisation, et aussi connu quelques échecs dans des administrations publiques, je reste sur mon avis de départ : hors les démarches terrains, collaboratives, itératives, agiles de mise en œuvre et la mise en place d’une dynamique d’amélioration continue, il n’y a pas que peu de salut. En cela il est possible de s’inspirer des théories entrepreneuriales d’effectuation pour en tirer des enseignements sur les démarches qui fonctionnent aussi pour des administrations.

 

Transformer vraiment le fonctionnement de nos administrations publiques : les fausses et les vraies bonnes idées

Une dichotomie « la tête et les jambes » qui a peut-être fonctionné… jadis

Voici la fameuse méthode Mareva 2 qui m’avait été refourguée il y a une éternité. Plein de bonnes intentions. Regardez par exemple cette représentation de l’utilisation de la méthode Mareva 2 tout au long du cycle de vie d’un projet

Utilité de MAREVA2 tout au long d'un projet

Utilisation et valeur ajoutée de MAREVA2 tout au long d’un projet

Tout cela est bel et bon. Mareva 2 peut être utilisée tant en étude d’opportunité, qu’en décision de lancement de projet, ainsi qu’en phase de réalisation et pilotage, comme en phase de déploiement et de bilan / mesure des résultats. Tout ça est très joli… sur le papier. Des esprits chagrins pourraient rétorquer que la représentation est mal choisie donnant plus de place au cadrage et au lancement qu’au pilotage. La portion congrue laissée au déploiement laissera rêveur tous ceux qui ont eu un jour à mettre en place des changements d’organisation, de processus ou des systèmes numériques dans des administrations. Cette représentation n’est que le reflet d’une primauté des penseurs et stratèges (la tête) sur les exécutants des basses œuvres (les jambes – ou les bras), modèle mental de base de nos administrations publiques.

Là où le bât blesse c’est qu’à regarder de plus près la méthodologie Mareva 2, le mot « usine à gaz » vient immédiatement à l’esprit. Voici la liste des documents constituant la méthodologie et l’outillage de Mareva 2 :

DOCUMENTS LIÉS

Je passe sous silence le contenu de ces formations et de ces tableurs. C’est toujours très bien sur le papier et dans l’intention.

Après quelques années passées à travailler avec des administrations publiques, je pense que cela est beaucoup trop complexe pour la valeur ajoutée et la qualité d’informations restituée. De beaux calculs ne servent à rien si des données fondamentales ne sont pas présentes ou modélisées. Et dans les administrations, la réalité du terrain, des agents, leur état d’esprit, leur motivation, ce sont des données clés. Les ignorer c’est décider avec des informations complètement et profondément biaisées. L’impression que j’ai c’est que des dizaines d’années de fonctionnement de la machine administrative française (depuis l’après guerre) ont complètement sédimenté les comportements des acteurs et les modèles mentaux de l’administration. Les décideurs décident sans connaissance du terrain, les agents appliquent surtout sans réfléchir (car on leur a formellement interdit de le faire), et les managers ont depuis longtemps renoncé à manager et préfèrent (tout) faire par eux même ou laisser faire.

L’effectuation avec les acteurs de terrain : la seule stratégie qui fonctionne ?

Dans ce contexte, il me semble que l’effectuation, popularisée en France par Philippe Silberzahn, est une stratégie qui fonctionne pour mettre en œuvre des changements dans les administrations publiques. Pourquoi ? reprenons les cinq principes de l’effectuation selon Saint Philippe :

1) Démarrer avec ce que vous avez : 

Les administrations ont souvent fait des choses à droite à gauche, parfois enterrées mais qui peuvent être réactivées. Souvent les administrations auraient grand intérêt à récupérer ce qui a fonctionné chez leurs pairs dans d’autres ministères ou administrations plus ou moins comparables. Ce n’est pas une solution miracle, ce n’est sûrement pas idéal. Cependant, souvent, avec des adaptations, des améliorations cela se révèle être un bon point de départ qui évite de se poser trop de questions. Encore une fois il ne faut pas idéaliser et attendre tout de la solution ou de l’organisation mise en place dans telle ou telle administration prétendument comparable mais c’est un bon point de départ… pour démarrer un long chemin.

2) Raisonner en perte acceptable et 3) Obtenir des engagements 

Sur tout projet les administrations peuvent tester des idées, mettre en place des choses et en tirer un bilan factuel. Pour cela il faut redonner la primauté aux idées des agents de terrain et arrêter de ne valoriser que les projets cathédrales sortis de l’imagination féconde des décideurs. Et surtout il faut savoir faire des bilans factuels. Trop souvent les bilans dans le secteur public ne servent qu’a glisser les échecs sous le tapis ou à habiller la mariée pour ne pas nuire à la carrière de tel ou tel. Je peux vous assurer que lorsque vous présentez un bilan et que vous dites « ça ne fonctionne pas, ça n’apporte pas les résultats escomptés » tout le monde vous regarde avec des yeux ronds comme si depuis la mort du regretté Jean-Pierre Coffe, ils n’avaient jamais plus jamais entendu quelqu’un oser dire clairement « C’est de la m… »

3) Obtenir des engagements et 4) Tirer parti des surprises

Tirer parti des surprises

Le travail avec les agents de terrain est d’une richesse incroyable dans les administrations. Ces organisations sont bridées depuis si longtemps qu’elles recèlent des trésors (et des difficultés aussi bien sûr). Votre projet peut bénéficier de l’aide d’individus auxquels personnes ne croyaient. Il peut révéler des talents. Bref il faut en permanence rester à l’écoute du terrain pour pouvoir faire des petits ajustements ou même des réorientations majeures. C’est en raisonnant comme cela que vous trouverez les soutiens dont votre projet a besoin, grands ou petits, que ce soit au niveau des individus ou d’une direction générale dans son intégralité.

5) Créer le contexte

Contrôler le futur pas le prévoir

Ce principe conduit à passer d’une logique de prédiction (essayer de deviner le futur) à une logique de contrôle (l’inventer). Mon impression est que le système de fonctionnement, les jeux d’acteurs sont tellement complexes et fossilisés dans les grandes administrations qu’il est illusoire d’essayer de les prévoir. Il est plus pertinent de privilégier l’action et d’être dans une logique de contrôle pour ajuster ses actions, son projet à ce que l’on va découvrir sur les réalités de l’organisation que l’on veut faire bouger / moderniser / améliorer.

Des acteurs ont poussé beaucoup plus loin ou dans une direction différente l’utilisation de l’effectuation dans le secteur public. Comme Pierre Pezziardi, notamment lorsqu’il a collaboré avec la DINSIC (DINUM maintenant) il y a quelques années et créé avec Henri Verdier le concept de startup d’état. Il sera intéressant de lire ou entendre son témoignage. Ce sera peut-être l’objet d’un prochain article de ce blog.

Mettre en place une dynamique d’amélioration continue

C’est peut-être ce qui est le plus difficile dans les administrations publiques. Elles sont habituées à investir et ensuite, quand d’aventure l’investissement n’a pas abouti à un résultat proche de 0 (ce qui malheureusement arrive encore souvent), l’organisation ne veut pas comprendre que ce qui a été mis en place n’est qu’une première étape et que sa pérennité dans l’organisation nécessite de l’améliorer et le faire vivre / grandir.

Ce challenge est le plus difficile car autant en phase projet les administrations ont parfois pu obtenir des financements qui leur ont permis de bénéficier d’une aide extérieure, autant sur ce qui devrait devenir le quotidien de l’organisation : l’amélioration continue, c’est du domaine des budgets de fonctionnement récurrents et l’aide est plus complexe à trouver. Pourtant les administrations peuvent s’entraider, que ce soit pour des réseaux de partage de connaissance, des transferts ou mutualisation d’activités entre administrations / ministères. Ces travaux entre administrations sont des opportunités de faire rentrer le dehors dedans et de bénéficier d’idées, d’expériences qui sont nécessaires à l’entretien de la dynamique d’amélioration continue. Mais ça fonctionne. Pour vous donner un ordre de grandeur quand même, l’exemple le plus récent sur lequel j’ai eu à travailler : l’amélioration continue reposait notamment sur une nécessaire standardisation d’une application pour pouvoir bénéficier de mutualisation d’activités avec d’autres ministères. Cette standardisation a pris 7 ou 8 ans. Evidemment pas 7 ans de travaux, mais 3 ou 4 chantiers de 2 à 3 mois qui ont permis progressivement sur une période de 7 ans d’y arriver.