Nous avons eu l’occasion dans de précédents articles de vous présenter de nouveaux acteurs bousculant des marchés traditionnels, pourtant considérés comme « fermés », verrouillés par leur cadre réglementaire : la banque d’entreprise (Qonto),  la mutuelle santé (Alan) ou même les services juridiques à la demande (Legalix). Tous ces nouveaux acteurs ont comme caractéristique commune de proposer un service répondant aux besoins et normes du secteur, mais repensés dès la conception pour un accès plus simple ou la résolution de pain points dans le parcours client.

L’ubérisation des comptables est-elle en marche ?

C’est aujourd’hui au tour de la comptabilité de voir fleurir de nouveaux services qui révolutionnent l’expérience utilisateur.

L’enfer des clotures annuelles

Laissez-moi vous raconter la douloureuse expérience annuelle d’un auto entrepreneur ou consultant Freelance, pour qui la tenue d’une comptabilité d’entreprise tient plus de l’obligation réglementaire et fiscale que de la saine gestion. Avec 2 ou 3 factures client par mois, quelques achats et dépenses récurrentes, un bon fichier tableur extracomptable lui fournit toute la visibilité nécessaire sur son activité.

Pourtant, ayant chanté toute l’année N, notre cigale se trouva fort dépourvue lorsque la bise fut venue : janvier N+1 (ou février, mars voire avril pour les plus joueurs), chasse à la facture au fin fond des tiroirs, saisie hasardeuse dans un outil comptable dont les règles et la logique lui semblent d’autant plus abscons qu’il ne s’y aventure généralement qu’une fois par an, rapprochement bancaire ligne à ligne et atterrissage douloureux, au bout de plusieurs nuits d’efforts acharnés et de mise en danger de sa vie de couple, pour transmettre le tout en temps et heure à l’administration fiscale. Il peut certes déléguer le tout à un comptable, mais encore faut-il fournir au dit comptable l’ensemble des éléments et informations lui permettant de s’y retrouver. Au fil de l’eau si possible, ou en fin d’année fiscale si on tient vraiment passer de longues heures avec lui à essayer de renouer le fil d’une histoire déjà très lointaine…

Se baser sur les opérations bancaires

De nouveaux acteurs comptables comme Dougs ou Fizen partent d’un constat simple : pourquoi ressaisir en compta des informations qui sont déjà disponibles dans le relevé bancaire  ? Pourquoi même avoir besoin d’importer mensuellement ce relevé d’opérations, alors que le premier agrégateur bancaire venu permet de les récupérer tous les jours ou sur demande, via l’espace client bancaire ?

Il ne reste plus ensuite qu’à affecter chaque ligne d’opération en choisissant dans une liste type d’opérations courantes (règlement facture client, appel de cotisation URSSAF, règlement de fournitures…). Pas de saisie, ce qui rend l’opération réalisable sur interface web, mais aussi sur tablette et smartphone via une appli dédiée. Il y a de fait beaucoup plus de possibilité de s’y mettre régulièrement, entre 2 réunions ou lors d’un trajet en transport. Derrière chaque opération, le justificatif peut être joint (PDF de facture client, scan ou photo d’une note de frais, elle aussi réalisable sur smartphone).

Il est même possible de pré-affecter chaque opération à un compte en fonction du descriptif disponible dans le relevé. Pas besoin de haute technologique ou d’IA pour cela : si de libellé de l’opération contient « URSSAF », l’opération est pré-affectée… au paiement de l’URSSAF ! (mais où vont-ils chercher tout ça ?). La TVA mensuelle, solde des encaissements et règlements effectifs du mois, est directement calculée sur cette base nativement à jour et calée sur les dates d’opération.

Divers tableaux de bord, outils de suivi et alertes sont disponibles, et le tout est accessible en temps réel non seulement à notre auto entrepreneur, mais aussi à son comptable avec lequel un point téléphonique tous les deux ou trois mois peut suffire : il a déjà tous les éléments en main (saisie et pièces justificatives), et peut dès lors se concentrer sur l’essentiel.

Ce n’est certes pas de la comptabilité d’engagements

J’entends d’ici les chantres de l’orthodoxie comptable maugréer qu’une comptabilité bien tenue doit permettre d’anticiper les échéances et engagements de la société, et doit donc recenser ces opérations avant leur passage en banque. Certes. Mais ce qui est vrai pour une entreprise industrielle avec des stocks et des salaires l’est beaucoup moins pour une société de service unipersonnelle, qui se rapproche d’une activité de profession libérale. Et la réactivité et la visibilité fournie par cette compta en ligne auto-alimentée est dans tous les cas bien meilleure que le rattrapage à N+1 réalisé précédemment…

Avec l’essor continu de l’auto-entreprenariat et des Freelance, ce type de solutions est promis un bel avenir, capturant une part toujours plus importante du marché. Sans se substituer à l’expertise d’un comptable, elles permettent au contraire à celui-ci comme à son client de limiter les tâches à faible valeur ajoutée. Moins que d’ubérisation, on assiste plutôt à une digitalisation intelligente de la fonction comptable.