ISlean consulting a contribué la semaine dernière à l’animation d’une conférence organisée par l’ACADI*, autour de thème « Entreprises-plateformes, Etat-plateforme : des enjeux et un défi pour toutes les organisations ». Étaient invités Jean-Louis Beffa, ex-PDG de Saint-Gobain ainsi que Clément Bertholet (Direction du Budget) et Laura Létourneau (ARCEP) auteurs de « Ubérisons l’Etat avant que d’autres ne s’en chargent ». Nous explorerons au travers de deux articles les approches des invités.

Services publics 2.0 : vers une mETAT-plateforme

Retour sur la conférence « Entreprises-plateformes, Etat-plateforme : des enjeux et un défi pour toutes les organisations – 2/2 ».

Laura Letourneau et Clément Bertholet se sont intéressés au sujet « Uberisation et État » ont formalisé leurs observations dans un ouvrage « Ubérisons l’État ! Avant que d’autres ne s’en chargent » dont ils nous présentaient les conclusions.

Vous avez dit « Uberiser », « Ubériser » ou « Ubeuriser » ?

C’est en bons conceptuels que ces deux ingénieurs du corps des Mines ont attaqué leur travail en tentant de définir les termes de leur étude.

A force d’entendre le mot « uberisation », on a tous fini par s’en construire une définition implicite… mais est-ce concurrence par les amateurs ? Pas toujours : Uber ne s’appuie désormais que sur les VTC, c’est à dire des professionnels. Désintermédiation ? Pas nécessairement, booking constitue un intermédiaire de plus qui consolide les offres d’autres professionnels. Economie collaborative alors ?

La définition de l’ubérisation de Laura Létourneau et Clément Bertholet est la suivante :

« La Disruption rapide du modèle d’affaire existant par des plateformes numériques de confiance, tournées vers le client et ne disposant pas d’infrastructures physiques ni d’opérateurs en propre. »

Lors de leur stage dans le secteur public, ils ont trouvé une sphère administrative qui se sentait peu concernée par le phénomène. « L’État ne pourra pas être uberisé ». « Il a le monopole de la violence légitime », « Il est le seul acteur de confiance pouvant assurer ses fonctions régaliennes », ou alors « son activité est trop complexe »… Pourtant des acteurs grignotent déjà sur son domaine, ne prenons que Facebook en exemple :

  • Facebook a mis en place un safetycheck qui a été utilisé dans le cadre des attentats en france avec une efficacité 100 fois supérieures à un numéro vert,
  • Facebook développe en Afrique des infrastructures réseau pour accorder un « droit à l’accès à internet« , mission qu’on attendrait plutôt d’un état,
  • La conférencière nous racontait elle-même que, ayant oublié ses papiers, elle avait pu attester de son identité à une compétition sportive en montrant son compte Facebook.

L’État 2.0 : un guichet unique et la certification de services décentralisés ?

A quoi ressemble un état uberisé ? Laura Letourneau et Clément Bertholet en propose une vision : celle d’un état plateforme, interlocuteur unique mais fédérateur de services publics plutôt que producteur

Un Guichet Unique

La première étape vers une auto-uberisation de l’État est de proposer une expérience unifiée aux citoyens. C’est une difficulté que connaissent bien les entreprises, et tous les consultants qui ont un jour essayé de rapprocher la base de prospection commerciale d’une base de fidélisation des client existants. Pour l’État, l’enjeu est d’autant plus grand que le nombre de services proposés est immense.

Il faut fédérer l’identité numérique citoyenne, peut être même en acceptant d’autres fournisseurs d’identité que FranceConnect… et pousser les différents services de l’État à mettre en commun leurs données. C’est un travail d’urbanisation titanesque mais sans lequel aucun progrès de l’expérience citoyen ne sera possible.

Un État fédérateur

Le second axe vers un état uberisé consiste à décaler le paradigme d’une production des services publics principalement en interne, par les ministères et entités publiques, à une fédération de producteurs de service de toutes natures, pouvant inclure l’État… mais aussi des entreprises et / ou des associations.

Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’une démission de l’État : ce dernier doit jouer son rôle de protecteur des libertés des Citoyens en identifiant, cadrant et en certifiant les fournisseurs de service. Ce travail consiste à dire au citoyen « j’ai confiance en l’entité xxx, pour le service yyy, vous pouvez y aller ».

Cela passe par une définition du service à rendre : finalité, exigences de qualité, de prix, de respect de la vie privée, etc. puis par la mise en place de plateformes et d’API permettant aux citoyens de consommer de façon transparente les services en question.  Notons que le positionnement cible de l’État n’est pas une plateforme parmi d’autres, en concurrence avec les startups et les entreprises privées, c’est une plateforme de fédération qui permet d’accéder à tous les fournisseurs. C’est une métaplateforme.

Ce salto arrière conférerait aux services publics une agilité et un dynamisme que l’organisation actuelle de l’administration n’est pas en capacité de fournir.

La transformation digitale publique : une alchimie encore à créer

Pour l’autre conférencier qui participait à cette conférence, Jean-Louis Beffa (voir ici notre article sur son intervention), la transformation digitale doit être impulsée par la direction pour changer durablement la culture et l’état d’esprit de l’entreprise.

Dans la sphère publique cela signifierait qu’une telle transformation continuera de peiner tant qu’elle ne sera pas portée explicitement par la tête de l’exécutif. Et pour cause, elle est reçue avec une résistance bien naturelle et doit faire face à des obstacles de taille :

  • Le décloisonnement des équipes de fonctionnaire dont l’esprit de corps s’oppose encore à la collaboration interministérielle (certaines équipes refusent par exemple de partager leurs données à d’autres entités publiques).
  • Le deuil d’une certaine conception de l’État : Omniscient, Omniprésent, Omnipotent. Et aussi de l’Administration : maîtresse de l’exécution décidée par les Politiques. C’est prendre le risque de perdre le contrôle.
  • Enfin, la réorganisation massive de l’administration et des fonctionnaires dont les fonctions seraient radicalement différentes dans le modèles évoqué par Laura Letourneau et Clément Bertholet.

Cette transformation prendra des formes différentes selon les services publics concernés. N’attendons pas un modèle unique commun à la demande de carte grise et à l’accueil des réfugiés ou pour délivrer des cartes de séjour.

Elle a déjà commencé dans certains domaines : à titre personnel, j’ai été positivement surpris du fait qu’on pouvait maintenant réserver son examen du code de la route pour 30 € quelques jours seulement à l’avance, sans inscription nécessaire auprès d’une auto-école.  Donc tous les espoirs sont permis !

 

*Cette conférence était organisée par l’ACADI avec la participation d’Intermines, de l’Ecole de Paris, de Telecom Paris et de la Société pour l’encouragement de l’industrie nationale