La révolution numérique a complètement changé le mode de fonctionnement de notre société. Nous, en tant qu’individus, entreprises et états, devons nous transformer pour tirer le plus grand bénéfice de cette révolution digitale à l’instar de la croissance tirée de la révolution industrielle. Toutefois, quels sont les facteurs permettant d’apprécier le niveau de numérisation d’une économie ?

 

Un pays « numérisé », kesako ?

Dans mon précédent article sur les contours de l’e-gouvernement (l’e-gouvernement, de quoi s’agit-il réellement ?), j’évoquais comment la révolution numérique refaçonne nos modèles économiques traditionnels. L’existence de nouvelles solutions digitales est une chose, leur utilisation en est une autre. Nous sommes inondés d’articles sur les IoT (internet des objets), IA (intelligence artificielle), RPA (automatisation de processus), MedTech (technologie médicale) et BioTech (biotechnologie). Mais combien de ces innovations sont réellement et pleinement utilisées ? Les observations montrent que nous sommes dans une phase transitoire entre l’étape des utilisations « pilote » et le passage à l’échelle. Le challenge serait donc d’accélérer ce processus et de passer entièrement dans un nouveau paradigme.

Les pays « numérisés » sont ceux qui bouleversent leurs modèles traditionnels pour créer un écosystème propice aux innovations et surtout mettent en œuvre des solutions numériques pour répondre aux besoins du quotidien. Il existe plusieurs indices de mesure du niveau de digitalisation d’un pays mais aucun ne fait l’unanimité. Ci-dessous, trois indices de différents niveaux.

L’indice de développement des technologies de l’information et de la communication (ICT Development Index, IDI) est un indice synthétique publié par l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) des Nations Unies sur la base d’indicateurs convenus au niveau international. L’IDI est un outil standard utilisé pour mesurer la fracture numérique et comparer les performances en matière de TIC. Il repose sur onze indicateurs, regroupés en trois sections du numérique : accès, utilisation et compétences. Cependant, faute de consensus clair sur la méthodologie, l’UIT des Nations Unies n’a pas publié de classement en 2018 et 2019. En conséquence, le dernier classement IDI date de 2017.

L’indice sur l’économie numérique et la société (Digital Economy and Society Index, DESI) créé par l’Union Européenne, est un indice composite qui résume les performances numériques de l’Europe dans le secteur public et privé. Il est calculé comme la moyenne pondérée de cinq principales dimensions : la connectivité, le capital humain, l’utilisation d’internet, l’intégration de la technologie numérique et les services publics numériques. Cet indice suit uniquement l’évolution des états membres de l’UE en matière de compétitivité numérique. Toutefois, d’autres pays hors-UE commencent par adopter cet indice pour suivre leurs propres performances numériques.

Enfin, l’Indice d’Agilité Digitale (IAD) d’Euler Hermes mesure la capacité des pays à fournir aux entreprises un environnement digital favorable à leur développement. Cet indice compris entre 0 et 100 reflète la capacité d’un pays à aider les entreprises à prospérer dans le contexte de la digitalisation. Pour cela, il prend en compte cinq dimensions : la réglementation et l’environnement des affaires, le système éducatif et les dispositifs de recherche, la connectivité, les infrastructures logistiques, et la taille du marché.

En fonction de l’indice choisi, il existe un biais concernant les indicateurs le composant. Par exemple, l’IAD qui comporte l’indicateur de taille du marché, défavorise le classement des pays avec un marché intérieur limité, même si ces derniers sont très bien « numérisés ». Ainsi, selon l’indice « numérisation » choisi, un pays peut être mieux classé qu’un autre alors que ce dernier aurait un meilleur positionnement dans un autre classement. C’est l’exemple de la Finlande et de l’Allemagne. Dans le classement IAD 2019, l’Allemagne est le deuxième pays avec un indice à 77 et la Finlande, 13ème à 66 ; alors que dans le classement DESI 2019, la Finlande se positionne en tête et l’Allemagne est 12ème. Pour information, en 2019, la France est 17ème au classement IAD et 15ème au classement DESI.

Au-delà des classements des indices, l’Estonie est réputée pour être la nation la plus dématérialisée au monde. Elle a rapidement adopté cette politique de dématérialisation dans toutes ses démarches administratives depuis 2002. C’est ainsi que plusieurs dirigeants du monde la visitent pour s’inspirer de leur modèle d’efficacité administrative. En Septembre 2014, lors de la visite de Barack Obama, ce dernier a déclaré qu’il aurait pu s’épargner les déboires techniques de sa réforme du système de santé américain s’il avait fait cette visite plus tôt. C’est tout un symbole quand on sait que l’Estonie était soviétique jusqu’en décembre 1991.

Un pays « numérisé » ne s’évalue donc pas au potentiel de digitalisation mais à l’adoption du digital. La numérisation est au cœur des transformations, à la fois pour mieux servir les citoyens, et pour gagner en productivité dans les différentes administrations du pays. La révolution de l’internet et du cloud computing apporte un gisement d’opportunités très important, mais vient parfois heurter les systèmes en place construits avec des paradigmes plus anciens. La digitalisation de la relation usager–administration doit être sécurisée et performante, mais surtout simple pour que l’appropriation des nouveaux outils soit accessible à la majorité de la population.

Par ailleurs, face au niveau élevé des dépenses publiques, il est plus que jamais indispensable d’accélérer le mouvement d’adoption de solutions innovantes permettant la réduction des coûts. Dans les administrations étatiques, les grandes orientations ci-dessous doivent se confirmer :

  • Poursuivre la transformation organisationnelle pour gagner en compétitivité
    • Recours aux nouvelles technologies et nouvelle organisation des administrations
    • Optimisation des processus
  • Simplifier la relation entre administrations et usagers
    • Référent unique, « dites-le nous une fois »
    • Simplification des démarches (e-ID, e-Permit, e-Paiement, e-Passeport santé…) et agence unique de recouvrement
  • Améliorer la qualité du service public par la dématérialisation
    • Dématérialisation des démarches administratives, plateforme numérique de l’état ou de collectivité
    • Gestion électronique de document
    • Ouverture des données, ciblage des contrôles par l’intelligence artificielle

L’organisation et les compétences nécessaires pour porter ces chantiers sont souvent problématiques : quelles compétences clés développer au sein des administrations ? Quels partenariats pour recourir à des solutions simples et pas chères ? Quelle garantie de sécurité ? Quelle gouvernance ? Discutons sur tous ces sujets pour créer le monde de demain, maintenant.