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Par Arnaud Alcabez, Directeur Technique Orentis
A l’instar du nouveau Hotmail, l’évolution rapide des messageries grand public a pour conséquence inattendue de mettre en évidence les limitations de plus en plus criantes de nombreuses messageries d’entreprise. Le décalage croissant entre des services gratuits, en dépit de leur richesse fonctionnelle, et la pauvreté des outils proposés dans beaucoup d’entreprises pousse de plus en plus de collaborateurs à développer leur propre infrastructure parallèle de communication reposant sur Messenger, Gmail ou Hotmail. L’inaction de nombreuses directions et l’absence de vision qu’elles manifestent dans ces domaines est symptomatique d’une nouvelle fracture numérique générationnelle opposant de jeunes collaborateurs en prise avec leur époque avec une veille garde qui finit tout juste de digérer l’apparition de l’email.
Le lancement de la nouvelle version de Hotmail, cinq ans après la précédente, a ceci d’intéressant qu’elle permet de prendre conscience des évolutions de la messagerie (fût-elle destinée au grand public) sur une période significative.
Un nouveau benchmark
L’analyse des fonctionnalités du nouveau Hotmail permet en effet de redéfinir les attributs d’un système de messagerie moderne conçu pour années à venir.
Cet exercice permet à contrario de mettre en évidence l’écart, voire l’abîme qui sépare ces services de messagerie grand public (Hotmail, Yahoo Mail !, Gmail …) des systèmes encore très largement utilisés en entreprise.
Je pense en particulier au grand nombre de sociétés qui continuent d’utiliser Exchange 2003, ce dernier appartenant grosso modo à la même génération que la précédente version d’Hotmail.
Les entreprises devraient considérer ces deux clichés pour les comparer : l’état de l’art en 2005 et ce qu’il est possible de faire en 2010, pour se demander quels sont les usages en train de tomber dans le domaine public, c’est-à-dire qui n’ont plus assez de valeur pour pouvoir être vendus.
En toile de fond se pose la question de savoir pourquoi dépenser de l’argent pour continuer à entretenir une messagerie professionnelle offrant moins de fonctionnalités que des services grand public gratuits !
L’inadéquation des outils proposés aux nouveaux collaborateurs
Dans l’entreprise, on observe une montée du nombre d’utilisateurs insatisfaits des limitations du système de messagerie de leur société, qui n’hésitent pas à basculer un grand nombre d’informations et de documents sur des messagerie grand public afin de pouvoir les consulter off line, sur leur mobile ou à domicile.
Les entreprises qui reposent sur des systèmes de messagerie remontant à 2003 devraient aujourd’hui se poser la question de savoir de quelle messagerie elles auront besoin à l’horizon de cinq ans, c’est-à-dire de savoir quelles fonctionnalités seront nécessaires si on observe les usages présents et à venir.
Une bonne façon de répondre à cette question consiste à regarder comment les services de messagerie grand public évoluent.
L’arrivée du nouveau Hotmail en constitue un bon exemple.
Cette nouvelle version a pour objectif de répondre à la demande de plusieurs centaines de millions d’utilisateurs (360 millions pour être précis) et représente une feuille de route détaillant les fonctionnalités que devrait proposer une messagerie dans les cinq ans à venir.
Parmi les nouveautés de cette version on trouve :
– L’utilisation d’ActiSync, en d’autres termes la disponibilité de la messagerie sur la plupart des mobiles ;
– Le filtrage intelligent de la boîte, où les messages importants sont présentés en priorité. C’est à dire qu’au-delà des spams, on parle maintenant de systèmes de filtre dotés d’une certaine intelligence embarquée permettant de traiter les messages « gris » (qui ne sont ni spam, ni des messages prioritaires) ;
– Des fonctions de partage, d’archivage et de stockage de contenus multimédias, tels que photos et documents, avec une capacité offerte de 25 Go. Ces fichiers hébergés sont modifiables avec des outils de type Web App indépendamment du client de messagerie utilisé ;
– De nouveaux standards en termes d’envoi et de réception: 10 Go par message ;
– Une intégration et une consolidation d’informations provenant de réseaux sociaux ;
– La possibilité d’utiliser plusieurs comptes de messagerie simultanément.
La nécessité de disposer d’outils professionnels
Il va également de soi qu’un service comme Hotmail ou la version grand public de Gmail ne sauraient répondre complètement aux attentes des directions informatiques.
Exchange 2007 et 2010 dans leurs versions traditionnelles, tout comme dans les versions hébergées, apportent des services et des outils de management absents des services destinés au public : l’intégration de la messagerie vocale, la gestion des fax, l’intégration avec Office ainsi qu’avec les applications métiers. On trouve également une gestion centralisée des comptes, la possibilité de définir des règles s’appliquant aux messages et aux boites aux lettres, l’anti-virus, la gestion spécifique de white et black list, la gestion centralisée de la sécurité …
A contrario, du point de vue de l’utilisateur, le nouveau Hotmail va plus loin que ce qu’offre Exchange 2003 … Ce dernier système n’est pas sans évoquer MVS ou CICS, l’interface graphique en plus.
Les risques d’une inadéquation
C’est ce constat qui pose la question d’un conflit latent entre les directions des entreprises (assistées de leur bras armé la DSI) et les jeunes générations d’utilisateurs.
D’un côté on trouve une volonté de régulation, de contrôle, de l’autre se situent des collaborateurs qui veulent que ça bouge, qui veulent travailler de partout, qui exigent de la messagerie instantanée, qui vont même jusqu’à exiger du fun !
Plus sérieusement, le risque est réel pour la DSI d’être challengée par les utilisateurs pour fournir des usages que des services externes fournissent gratuitement. En l’absence prolongée de réponse, la probabilité est grande de voir se multiplier les usages parallèles de messagerie publiques.
La fracture numérique en entreprise
Ce débat pose de façon plus générale, la question d’une fracture numérique générationnelle qui oppose une vieille garde d’entreprise avec ce que l’on appelle la génération « Y », c’est à dire les nouvelles générations de collaborateurs qui sont nés et ont grandi dans l’ère numérique et pour lesquels la perspective de ne pas pouvoir utiliser « leurs » outils dans un contexte professionnel est impensable.
Cet affrontement entre des accros de Skype, de Facebook ou de Twitter et les quinquas qui définissent les standards n’est pas sans rappeler les comportements observés il y a une quinzaine d’années avec les débuts de la messagerie électronique.
Il n’était pas rare de voir des utilisateurs imprimer leurs emails pour pouvoir les lire de façon traditionnelle, sans oublier les cadres qui dictaient leur réponse à leur secrétaire, à charge pour cette dernière d’utiliser le compte de messagerie de leur patron pour répondre …
Il n’est pas rare aujourd’hui de rencontrer des utilisateurs souhaitant changer d’entreprise pour ces motifs.
Je pense à un responsable marketing à qui son entreprise interdisait l’utilisation de Messenger qui contenait pourtant la totalité de ses contacts professionnels. Sa réaction consistait à dire : pendant les huit heures que je consacre quotidiennement à mon travail, je n’existe plus sur l’Internet, je suis déconnecté …
Faute d’outils fournis par l’entreprise, les utilisateurs se débouillent, ils discutent sur Facebook et chattent via Messenger. J’ai vu des entreprises dans lesquelles la moitié des effectifs utilisaient de façon souterraine ces outils, sans que la DSI en soit avisée. Encore une fois, on trouve aujourd’hui gratuitement toutes les fonctionnalités voulues du point de vue de l’utilisateur, si l’entreprise ne pourvoit pas à la demande.
La conséquence est qu’une grande partie de l’information propre à l’entreprise est stockée en dehors de celle-ci …
Cela ne signifie pas pour autant que les entreprises doivent céder à toutes les demandes. Elles doivent borner les nouveaux usages mais également les prendre en compte. Il est nécessaire de parler aux collaborateurs pour expliquer ce qui est licite et le différencier ce qui ne l’est pas.
L’attitude consistant à verrouiller via un excès de régulation risque de faire fuir les meilleurs talents.
La nouvelle fracture numérique, ce sont des directions informatiques qui se placent dans un mode défensif, qui ne font que réagir, sans plan et sans vision. Dire « non » en permanence n’est pas une réponse viable à long terme. De ce point de vue la gouvernance informatique de nombreuses entreprises ressemble à celle de la FFF.
On arrive au bout d’une génération de systèmes de messagerie.
L’arrivée de nouvelles générations de services grand public représente en ce sens un rappel salutaire et devrait inciter de nombreuses entreprises à repenser leur système de messagerie pour répondre aux attentes souvent légitimes de leurs collaborateurs.
Cela me rappelle quand, en 1998, dans une grande société d'ingénierie où je travaillais, la détention d'un compte de messagerie était réservé à quelques ingénieurs de la DSI et quelques cadres influents. L'internet était interdit, sacrifié sur l'autel de la sécurité.
Conséquences : tous les ingénieurs qui travaillaient sur des projets à l'international échangeaient des docs avec des messageries persos, auxquelles ils se connectaient, en douce, au travers de lignes RTC avec un modem, depuis l'entreprise.
Mes clients anglophones marquaient un étonnement poli à l'époque.